J. LACAN

LES SÉMINAIRES

J. LACAN LE SÉMINAIRE livre II

1954-55


Le moi dans la théorie de Freud et la psychanalyse

Économie psychique : conscient et inconscient

J. LACAN LE SÉMINAIRE 

livre II

1954-55

Le moi dans la théorie de Freud et la psychanalyse

Psychologie et métapsychologie

 

P13 Socrate inaugure dans la subjectivité humaine un savoir préalable à tout progrès ultérieur de la science expérimentale : ce nouvel être-dans-le -monde que Lacan nomme « subjectivité ».

P16 Les considérations des philosophes ont conduit à une notion de plus en plus formelle du moi et à une critique de sa fonction par le progrès de la pensée qui s’est progressivement détourné du mythe de l’intelligence humaine pour le soumettre à une stricte pensée scientifique. Est advenue alors le moi comme pur mirage avec Locke et Kant qui questionnaient la fonction d’un moi substantialisé dans l’âme religieuse. Lacan parle de « révolution copernicienne » pour qualifier la découverte de Freud en ceci que
l’inconscient échappe tout à fait à ce cercle de certitudes en quoi l’homme se reconnaît comme moi. Pour lui en effet, c’est hors de ce champ qu’il existe quelque chose « qui a tous les droits à s’exprimer par je. »

P17 Freud, dans la perspective de communication de son époque est forcé de partir de l’idée que ce qui est de l’ordre du moi est aussi de l’ordre de la conscience (moi=  conscience).  À  cette  époque  ce  qui  est  recherché  est  lié  à  la  hauteur  de l’intelligence humaine dans ses rapports au monde ; « à la mesure du perfectionnement, à l’arétè de son espèce ». Mais Freud montre qu’au contraire « le sujet, ce n’est pas son intelligence, ce n’est pas sur le même axe, c’est excentrique (..) le sujet c’est autre chose
qu’un sujet qui s’adapte. » Et Lacan s’en tient là, à cette métaphore topique : « le sujet est décentré par rapport à l’individu. » C’est ce qu’il veut dire par Je est un autre.

P21 Pour Lacan « l’œuvre de métapsychologie de Freud après 1920 a été lue de travers, interprétée de façon délirante par la première et la seconde génération après Freud. » Dès 1920 Freud fait face à une crise de la technique analytique qui, en se cantonnant à l'analyse des résistances avait instauré un biais théorique majeur. Pour y remédier Freud apporte alors de nouvelles notions nécessaires au maintient de ce principe du décentrement du sujet. Ici l’œuvre de référence, l’ouvrage-pivot Au-delà du principe de plaisir, sera le support d’élaboration du séminaire dont Lacan invite à la relecture constante.

Savoir, vérité, opinion

 

P31 Pour ce qui est de la vérité, le Ménon de Socrate montre « comment on fait sortir la vérité de la bouche de l’esclave, c’est à dire de n’importe qui, et de n’importe qui est en possession des formes éternelles. Le but et le paradoxe du Ménon est de nous montrer que l’épistémé, le savoir lié par une cohérence formelle, ne couvre pas tout le champ de l’expérience humaine, et en particulier qu’il n’y a pas une épistémé de ce qui réalise la perfection, l’arété de cette expérience. » Dans sa démonstration mathématique où  l’esclave  répond  spontanément  par  l’erreur,  Socrate  enseigne  qu’il  existe « un passage entre un plan de liaison intuitif et un plan de liaison symbolique ». Un clivage se fait jour  entre l’imaginaire en tant qu’effet de la réminiscence et des intuitions à priori et la fonction symbolique qui, elle, s’introduit dans la réalité par « forçage ». Ici pour Lacan « le moi, fonction imaginaire, n’intervient dans la vie psychique que comme symbole. » L’épistémé délivré alors par Socrate met profondément en question « la valeur de l’intervention symbolique, du surgissement de la parole.» (p32)

L’univers symbolique

 

Pour comprendre ce que Freud attribue au moi dans sa métapsychologie, il nous faut distinguer les plans du symbolique, de l’imaginaire et du réel. Pour Lacan, le moi est à situer dans sa fonction imaginaire car « la dimension fondamentale, centrale, de notre expérience est proprement de l’ordre imaginaire. » (p56) Contre les tendances du cercle  freudien  à  réintroduire  une  philosophie  de  la  nature  par  manque  de compréhension de l’instinct de mort formulé par Freud à la fin de l'Au-delà du principe de plaisir, Lacan rappelle « l’autonomie du symbolique » propre à l’homme.(P57) Si dans le champ éthologique nous trouvons la fonction imaginaire dans « toutes les captations gestaltistes liées à la parade (essentielle au maintient de l’attraction sexuelle à l’intérieur des espèces), il en va autrement chez l’homme car il y a déjà chez lui « une fêlure », une « perturbation profonde de la régulation vitale. » Il ne se contente pas du plan phénoménologique pour décrire « l’asymétrie » de l’homme face à la nature car pour lui « l’important est ce qui donne aux formes qui sont dans la nature valeur et fonction  symboliques » :  le  moi,  constitutif  de  l’instinct  de  mort  « agit  comme fonction et comme symbole ». (p59)

 

Une définition matérialiste du phénomène de conscience

 

P62 La subjectivité est désormais à considérer comme « un système organisé de symboles » qui prétend couvrir la totalité de l’expérience et lui donner son sens. Le moi, lui, « est le siège des résistances du sujet » qui sont la somme des préjugés que comporte tout savoir ; c’est tout ce que l’on « croit savoir ». Contre la conception de la pratique de la cure par Anna Freud et par les analystes de son temps, Lacan rappelle que l’analyse des  résistances  ne  consiste  pas « à intervenir auprès du sujet pour qu’il prenne conscience de la façon dont ses attachements, ses préjugés ou même l’équilibre de son moi l’empêche de voir, pas plus qu’une persuasion, qu’une une suggestion », qu’il ne s’agit pas non plus de renforcer son moi. Il s'agit bien plutôt, à chaque moment de la relation analytique, de savoir à quel niveau doit être apporter une réponse au sujet car sa question concerne toujours « son histoire en tant qu’il la méconnait ». Qu’une parole est matrice de la part méconnue du sujet et que « c’est là le niveau propre du symptôme
analytique ». Ce symptôme ne cédera qu’à une intervention portée à ce niveau décentré.  Toute  intervention  échouera  si  elle  s’inspire  d’une  reconstitution préfabriquée, forgée à partir de notre idée du développement normal de l’individu.


Quand Freud traite du processus primaire, il veut parler de quelque chose qui a un sens ontologique, il l’appelle le noyau de notre être. Ce noyau ne coïncide pas avec le moi car « le moi n’est pas le je (..) Littéralement, le moi est un objet - un objet qui remplit une certaine fonction que nous appelons ici fonction imaginaire. » (p.67) Cette thèse est selon Lacan « absolument essentielle à la technique » et se dégage des travaux de Freud à partir du tournant de 1920 car, contre la diplopie qui restaure une unité en faisant « rentrer le moi dans ce je découvert par Freud », contre cette « illusion », il faut plutôt repérer que « tout ce qu’a écrit Freud avait pour but de rétablir la perspective exacte de l’excentricité du sujet par rapport au moi. » (p.67) Depuis ses esquisses de 1895, « le système de la conscience n’entre pas dans sa théorie » et là-dessus les philosophes ont fait quelques pas décisifs depuis Descartes qui déjà différenciait « la conscience thétique et non-thétique » (de ce qui pose une thèse, chez les phénoménologues, se dit de ce qui pose l'existence de la conscience, de ce qui l'affirme comme telle.) Pour Lacan, il s’agit avant tout de comprendre ce qu'est l’image dans le miroir?

P73 Une définition matérialiste de la conscience consisterait à considérer que « la conscience, ça se produit chaque fois qu'est donné (...) une surface telle qu'elle puisse produire ce qu'on appelle une image. » L'exemple de la caméra interroge: l'être à l'écran est-il moi? Toute la dialectique du Stade du miroir est fondé sur le rapport entre d'une part des tendances expérimentées comme morcelées et d'autre part une unité avec laquelle le moi se confond et s'appareille. « Cette unité est ce en quoi le sujet se reconnaît pour la première fois comme unité, mais aliénée, virtuelle. »

Homéostase et insistance

 

P82  C'est  du  fait  de  préoccupations  transcendantalistes  que  certains  sont conduits à une certaine idée substantialiste de l'inconscient mais, « opérer sur les démarches du moi ou explorer l'inconscient, est-ce du même ordre? » (p.87) Justement, au moment où Freud introduit sa nouvelle topique, il rappelle « qu'entre le sujet de l'inconscient et l'organisation du moi, il y a non seulement dissymétrie absolue, mais différence radicale.» (p88) Et le principe d'où part Freud est bien celui de l'appareil psychique qui, en tant qu'organisé, se place entre le principe de plaisir et le principe de réalité (cette réalité est une réalité psychique). C'est ici qu'il s'aperçoit que « quelque chose ne satisfait pas au principe de plaisir », que ce qui sort du système de l'inconscient est une insistance (un automatisme de répétition). Effectivement, ce qui a obligé Freud à inscrire tout ce qu'il déduit en termes d'investissement, de charge et de décharge,  de  relation  énergétique  entre  les  différents  systèmes  c'est  le  principe d'homéostase. Mais il trouve dans le mécanisme du rêve comme dans celui du transfert quelque chose qui contrevient à la règle du principe de plaisir: « la reproduction de quelque chose qui appartient manifestement à l'autre système » (p91) c'est l'insistance du sujet à reproduire. Et le sujet peut reproduire indéfiniment une expérience dont ont découvre certaines qualités par la remémoration (cf L'Homme aux loups).

 

Freud, Hegel, et la machine

 

« Entre Hegel et Freud il y a l'avènement d'un monde de la machine » (P108)


Le circuit

Lacan adresse à Merleau-Ponty la critique qu'il n'est qu'un humaniste en ceci qu'il suppose toujours la saisie du monde dans une unité donnée et contemplative à laquelle l'expérience de la bonne forme ne donne pourtant qu'un semblant d'appui. Cette théorisation où la physique se confond avec la phénoménologie implique « que la conscience viendrait constituer le monde par une série de synthèses et d'échanges qui situerait le moi à chaque instant dans une totalité renouvelée, plus enveloppante et
prenant toujours son origine dans le sujet. » (p113) Ce caractère diplopique qui place sur le même plan l'homme et sa propre image exclu la référence au registre symbolique et Lacan ne peut s'en contenter.

Dans  ce  sens  il  se  réfère  aux  avancées  qu'ont  impliqué  la  codification  de l'information par le système des nouvelles télécommunications (la Bell Telephone Company) et y décrit « cette tendance qu'il y a dans la communication à cesser d'être communication, c'est à dire à ne plus rien communiquer du tout. » Voilà pour Lacan que se voit ajouté un symbole nouveau. Et il interroge: « Qu'est-ce qu'un message à l'intérieur d'une machine?» La codification des données crée un circuit fonctionnant à la manière du registre symbolique, par boucle « c'est quelque chose d'articulé, du même ordre que les oppositions fondamentales du registre symbolique. A un moment ce quelque chose qui tourne doit, ou non, entrer le jeu. » (p.126) Ce qui intéresse Lacan ici est la question des circuits qui chercheront à s'interconnecter pour « entrer dans le jeu général. » Rappelant le champ de la parole inscrite dans le circuit plus structurel du langage, c'est à la manière de la compulsion de répétition telle qu'elle se manifeste dans l'analyse que font référence les circuits de communication; « sous la forme d'un 
comportement monté dans le passé et reproduit au présent. »

L'en-deça de cette homéostase qui donne à faire l'expérience de l'être-en-le-monde dans une unité est ce pendant de l'instinct de mort qui, au contraire, par son insistance, perpétue « la condition d'un progrès humain, au lieu d'être, comme le principe du plaisir, un rapport de sécurité et de stagnation. » (p39)  Ici c'est le moi qui est  le  siège  des  résistances  et  qui  présente  sécurité,  stagnation  et  plaisir.  Nous
retrouvons là ce que Lacan a déjà indiqué, à savoir que l'inconscient est le discours de l'autre. « Ce discours de l'autre, ce n'est pas le discours de l'autre abstrait (..) c'est le discours du circuit dans lequel je suis intégré. J'en suis un des chaînons. Et parce qu'on arrête pas la chaîne du discours, je suis justement charger de le transmettre dans sa forme aberrante à quelqu'un d'autre. Ce discours fait un petit circuit où se trouve pris toute une famille.  Voilà ce qu'est le besoin de répétition tel que nous le voyons surgir
au-delà du principe de plaisir. » (p.127)

Les schémas freudiens de l'appareil psychique

Introduction à l'
ENTWURF (l'ébauche)

Ce que nous enseigne Freud par le biais de la philosophie de la science, c'est que nous ne pouvons appréhender le réel que par l'intermédiaire du symbolique. Lacan, pour comprendre ce qui est inclut ou exclu de la relation narcissique postule que « c'est au joint de l'imaginaire et du réel que se place la différenciation. » (p137)

L'Entwurf est un manuscrit de Freud, non publié, datant de 1895, donc avant la Science des rêves où l'on voit « la machine à rêver rejoindre cette machine dont je vous évoquait tout à l'heure le schéma à propos du discours de l'autre. » (.p139) Lacan reprend la métaphore énergétique de Freud mais en postulant qu'à la place de la conscience Freud cherchait plutôt à nommer le système de la perception ; « Freud le 
confond dans la suite avec le système de la conscience, mais il lui faut introduire celui-ci en hypothèse supplémentaire. Pourquoi ? Par ce qu'il lui faut non seulement des stimulations venues du monde extérieur, mais ce monde extérieur lui-même.  Il lui faut un appareil intérieur qui, du monde extérieur, reflète non seulement les incitations, si vous voulez, la structure. » (p.149)

Dans le premier schéma de l'appareil psychique freudien, la notion de décharge seulement réceptive répond à un simple besoin de symétrie par nécessité de valider l'homéostasie et son besoin de constance énergétique:

 

Premier schéma de l'appareil psychique dans l'Entwurf (système de la décharge) À INSÉRER

 

La mémoire ici est conçue comme suite d'engrammes, comme sommes de séries de frayages à laquelle il faut ajouter la notion d'image. Lacan pose que si une suite d'expériences fait surgir une image dans un appareil psychique conçu comme simple plaque sensible, il va de soi que la même série sera réactivée par une nouvelle excitation, par un nouveau besoin, alors la même image se reproduira. Autrement dit, « toute stimulation tend à produire une hallucination ; voilà ce que veut dire le processus primaire chez Freud. » (p.150) Mais si l'enchaînement des expériences a des effets hallucinatoires, il faut dès lors un appareil correcteur pour tester ce qu'il en est de la réalité ou de l'hallucination. « Pour qu'il puisse y avoir comparaison entre l'intérieur où l'image est hallucinatoire, et l'extérieur, il faut que le moi inhibe au maximum les passages d'énergie dans ce système.» (p.153)

Dès lors, la pensée, le jugement, etc. sont à concevoir comme actes simulés et ce que nous  pouvons  appeler  la  conscience  n'est  que  la  fonction  imaginaire  du  moi  où «l'homme prend vue de ce reflet du point de vue de l'autre. Il est un autre pour lui-même. C'est ce qui donne l'illusion que la conscience est transparente à elle-même. Dans le reflet, nous n'y sommes pas, nous sommes dans la conscience de l'autre, pour apercevoir le reflet. » (p.156)

 

L'expérience du rêve va produire une évolution frappante du schéma: À INSÉRER


L'appareil psychique dans la Traumdeutung

 

De l'Entwurf à la Traumdeutung

 

Dans Métapsychologie, le texte intitulé Compléments métapsychologiques à la théorie des rêves rend compte des embarras que fait ce système de la conscience à chaque niveau de la théorie freudienne. Le paradoxe du système de la conscience nous dit Lacan est « qu'il faut à la fois qu'il soit là et qu'il ne sois pas là. » (p.163) Ce schéma  est  décliné  en  trois  type  dans  la  Traumdeutung,  Freud  y  ajoutant
progressivement  les  Souvenirs  en  tant  que  traces  mnésiques  puis,  pose  comme hypothèse  «  qu'un  système,  le  plus  en  avant  de  l'appareil,  enregistre  les  stimuli perceptifs, mais n'en conserve rien, n'ait donc pas de mémoire, et qu'à l'arrière de celui-ci soit disposé un deuxième système qui transpose en traces durables l'excitation momentanée.1»

Pour Lacan, nous sommes passés d'un modèle mécanique à un modèle logique pour autant Freud bute sur ce que Lacan nomme le « test de réalité : prenons l'exemple d'une décharge motrice proprement perceptuelle.  Des mouvements se font dans l'œil du fait de l'accommodation de la vision, de la fixation sur un objet.   Par rapport à l'hallucination du désir, en train de se former dans le psychisme, c'est ça qui devrait théoriquement  apporter  une  mise  au  point.   Or,  la  décharge  motrice,  la  partie proprement motrice dans le fonctionnement des organes perceptifs, et justement celle qui est tout à fait inconsciente. » (p.164)

Le petit schéma optique met, lui, le système perception-conscience là où il doit être, c'est-à-dire « au cœur de la réception du moi dans l'autre, car toute la référence imaginaire de l'être humain est centré sur l'image du semblable. » (p.167)

 
La censure n'est pas la résistance

 

La censure n'a rien à faire avec la résistance car par définition « nul n'est censé ignorer la loi, mais elle est toujours incomprise, car nul ne la saisit dans son entier. » (p.179) Lacan veut dire par là qu'aucun homme ne peut maîtriser dans son ensemble la loi du discours. La censure à l'origine se passe au niveau du rêve, le surmoi «terrorise le sujet» et cela construit en lui des symptômes efficaces « qui se chargent de représenter ce point où la loi n'est pas comprise du sujet mais jouée par lui. » (p182) Pour Lacan, censure et surmoi sont à situer dans le même registre que celui de la loi; c'est le discours concret en tant qu'il donne à l'homme son monde culturel. « C'est dans cette dimension que se situe la censure et voyez en quoi elle se distingue de la résistance. » (p.182)

La résistance elle peut être contournée durant le sommeil car Freud le suppose: «il y a durant le sommeil un retrait de la libido et réinvolution dans le moi» (p183) c'est dans cette mesure que les résistances peuvent être filtrées. La résistance du moi n'étant qu'une petite partie de la résistance.

Les embarras de la régression

Lacan  note  chez  Freud  un  point  paradoxal  qui « exercera  une  influence {pourtant} dominante sur le développement de la pensée psychanalytique: (..) alors que jusque-là la propriété de l'arc réflexe (sur laquelle est basée son premier schéma) est sa réversibilité, tout à coup Freud introduit la notion que les choses se passent dans une succession déterminée et irréversible. Ce n'est pas tout. Au moment même où il introduit la succession temporelle (deuxième schéma) il est amené, pour des raisons de cohérence interne, conceptuelle à nous parler exactement du contraire, à savoir de cette chose paradoxale qui s'appellera la régression. » (p.185)

Freud le décrit tel quel; « Ce qui se passe dans le rêve hallucinatoire ne peut se décrire autrement qu'en disant : l'excitation emprunte une voie à rebours. Au lieu de se propager vers l'extrémité motrice de l'appareil, elle se propage vers l'extrémité sensible et finit par aboutir dans le système perceptif. Si nous appelons progrédiente la direction dans laquelle le processus psychique, partant de l'inconscient, se poursuit dans l'état de veille, nous pouvons dire du rêve qu'il a un caractère régrédient. 2 »

Mais  Lacan  interroge « comment  devons-nous  comprendre  la  notion  de régression ? Quel sens donner aux fait qu'un sujet à régressé au stade oral ?» (p.185) En effet, l'explication du rêve par la régression engage Freud dans des contradictions fondamentales sur tous les plans. Il lui faut retrouver une sorte de plan perceptif primitif, il parle donc d'une régression topique, d'où la prétendue forme hallucinatoire que prend, dans certaines conditions, le désir. La théorie du moi, articulée en 1915 à
partir de la libido narcissique, résout les problèmes posés dans ses schémas par les différentes formes de régression.


P188 Une une autre complication et que celle de savoir pourquoi le préconscients a rejeté et étouffé le désir qui appartient à l'inconscient? Une réalisation du désir devrait certainement être une cause de plaisir. Mais pour qui ?  Voilà réapparaître clairement l'idée d'un décentrement du sujet. Le sujet ne retrouve pas sur les rails préformés de son rapport  naturel  au  monde  extérieur.  L'objet  humain  se  constitue  toujours  par l'intermédiaire d'une première perte et il a toujours à reconstituer l'objet en cherchant à en retrouver la totalité à partir de je ne sais quelle unité perdue à l'origine.

P191 La coalescence de deux séries au moins de motivations est nécessaire à la production de toute formation  symptomatique. L'une est sexuelle et l'autre est symbolique - c'est le facteur de la parole, tel qu'il est assumé par le sujet.

P194 Dans le système de la perception-conscience exposé dans la dernière topique, le noyau du moi suppose une unité. Freud nous représente cette unité topique comme constituée de quelque chose qui est décomposé aux deux bouts. La façon dont le schéma est construit a la singularité de représenter comme dissociés -aux deux points terminaux de la circulation orientée de l'élaboration psychique- l'envers et l'endroit d'une même fonction, à savoir la perception et la conscience. Lacan soupçonne une fois de plus qu'il y a quelque chose qui ne va pas et il lui faut donc reprendre les choses. « Si le schéma n'avait pas un fonctionnement à sens unique, nous n'aurions aucun besoin de la notion de régression. » C'est pourquoi Freud dois admettre non pas tellement une régression qu'un sens régrédient. C'est la forme même du schéma qui oblige Freud a parlé de retour en arrière.

P200 Pour autant dans cette conception strictement hallucinatoire de la mise en jeu des besoins, d'où sort l'idée de processus primaire, il est normal que l'organisme psychique,  du  fait  qu'il  a  été  satisfait  d'une  certaine  façon  dans  les  premières expériences confuses liées à son premier besoin, hallucine sa seconde satisfaction. Cela implique une identification entre le phénomène physique qui a lieu dans un
neurone et ce que le sujet perçoit. Il s'agit du parallélisme psycho-physique. Cette hallucination peut simplement être définie comme fausse perception et il nous faut la distinguer d'une hallucination vraie.

Le retour d'un besoin entraîne l'hallucination de la satisfaction, il nous faut donc nécessairement supposer un mécanisme de réglage, d'adaptation au réel, qui permette à l'organisme de référer l'hallucination à ce qu'il se passe au niveau des appareils perceptuels. Quelque chose doit donc se constituer à mesure des expériences, qui diminue l'investissement quantitatif au point sensible de l'incidence du besoin. Cette quantité, l'ego intervient pour la faire passer sur plusieurs voies à la fois au lieu d'une seule. En fait, l'ego et l'appareil psychique sont la même chose : L'ego n'est que le noyau de cet appareil.


Le rêve de l'injection d'Irma

P229 Les conclusions que Lacan tire de ce rêve sont mises en rapport avec le stade du miroir parce que c'est l'image du corps qui est le principe de toute unité qu'il perçoit dans les objets. L'égomorphisme défini son unité idéale alors que l'objet se présente à l'homme comme irrémédiablement séparé de lui, cet objet, par essence le détruit et l'angoisse car il ne peut y trouver sa complémentarité parfaite sur le plan du désir. Si l'objet a sa propre unité, celle-ci met l'homme en état de tension car il se perçoit lui-même comme désir insatisfait. Inversement, quand il est saisit dans son unité, c'est le monde au contraire qui pour lui se décompose et perd son sens.

P230   Nous n'avons donc pas à chercher dans une régression la raison des surgissements imaginaires qui caractérisent le rêve car la perception est un rapport total à un tableau de données, où l'homme se reconnaît toujours quelque part et se voit même quelques fois en plusieurs points. Dans la pratique il s'agit, nous dit Lacan, de reconnaître où est le moi du sujet.

P231 Au moment où est atteint quelque chose de réel dans ce qu'il y a de plus abyssale, la seconde partie du rêve de l'injection d'Irma met en évidence ces composés fondamentaux du monde perceptif que constitue le rapport narcissique. L'objet est toujours plus ou moins structuré comme l'image du corps du sujet. Cette image est masquée mais dans le rêve elle se révèle facilement à toute instant. Une foule peut-être  faite  de  la  pluralité  imaginaire  du  sujet,  de  l'étalement  des  différentes identification de l'ego. Dans le rêve de Freud il s'agit de sa propre culpabilité à l'égard d'Irma et parce que l'objet est détruit, si l'on peut dire, sa culpabilité est détruite avec lui. De cette "innocentement" total, Freud y reconnaît l'animation secrète de ce rêve. Voilà qui nous porte à nous poser la question du joint de l'imaginaire et du symbolique.

Au-delà de l'imaginaire, le symbolique, ou du petit au grand Autre

Pair ou impair? Au-delà de l'intersubjectivité


Un enfant apprend à Lacan par le biais d'un jeu de hasard comment celui-ci procède «par identification de son intellect avec celui de son adversaire. » (p245) Cette méthode même suppose déjà la dimension de l'intersubjectivité, en ceci que le sujet doit savoir qu'il a en face de lui un autre sujet, en principe homogène à lui-même.Dans l'histoire de la lettre volée dont voici le thème : un préfet de police est 
chargé de retrouver une lettre qui a été dérobé par un grand personnage parfaitement amoral. Le personnage en question a subtilisé cette lettre sur la table du boudoir de la reine. Toute la question pour Lacan réside autour du fait que si les policiers ne la trouve pas, ce n'est pas seulement parce qu'elle est dans un endroit trop accessible, mais en raison de cette signification: une lettre d'un grand prix ne peut qu'être caché soigneusement. «Tout naturellement l'esclave suppose que le maître est un maître! » Il s'agit ici d'un jeu dialectique.

En résumé ce qu'il y a de plus intelligent est de faire comme l'imbécile c'est-à-dire que tout perde sa signification. Il faut tâcher d'annuler toute prise de l'adversaire. Le pas suivant, et c'est l'hypothèse freudienne, consiste à poser qu'il n'y a pas de hasard dans quoi que ce soit.  Nous avons construit une machine qui dégagerait la formule reflétant l'automatisme de répétition en tant qu'il est au-delà du principe de plaisir, au-delà du motif rationnel et des sentiments à quoi nous pouvons accéder. Au départ de la psychanalyse, cet au-delà est l'inconscient, en tant que nous ne pouvons pas l'atteindre, c'est le transfert en tant qu'il module les sentiments d'amour et de haine.

La lettre volée

 

P 267 Les personnages peuvent être définis à partir du sujet, plus exactement à partir  du  rapport  que  détermine  l'aspiration  du  sujet  réel  par  la  nécessité de l'enchaînement symbolique. La lettre est synonyme du symbole se déplaçant à l'état pur. Et ce que signifie ce conte, c'est que le destin ou la causalité, n'est rien qui puisse se définir  en  fonction  de  l'existence.  Quels  qu'ils  soient,  à  chaque  étapes  de  la transformation symbolique de la lettre, les personnages seront définis uniquement par 
leur position envers ce sujet radical. En d'autres termes, pour chacun, la lettre est son inconscient. Et c'est ce qui fait tout le drame humain : les êtres humains sont déjà liés entre eux par des engagements qui ont déterminé leur place, leur nom, leur essence.

p 269 Si il peut y avoir une lettre volée, c'est qu'une lettre est une feuille volante. Ce sont les scripta qui volant, alors que les paroles, hélas, restent.

p 275 Et c'est la vérité qui est cachée, ce n'est pas la lettre. Pour les policiers, la vérité n'a pas d'importance, il n'y a pour eux que réalité et c'est pour cette raison qu'ils ne trouvent pas.

Introduction du Grand Autre

 

Où  est  l'essentiel  de  l'analyse ? L'analyse  consiste-t-elle  dans  la  réalisation  de l'imaginaire du sujet ? Pour Lacan, on confond le moi et le sujet et on fait du moi une réalité, quelque chose qui serait intégratif. Posons que le moi est imaginaire,  si il ne l'était pas, nous ne serions pas des hommes, nous serions des lunes. Un fou est justement celui qui adhère à cet imaginaire purement et simplement.


1 FREUD S. L'interprétation du rêve. Édition du Seuil, 2010. p 581.

2 Ibid. p584. Hobbes dit ( dans le Léviathan, 1651, I, 2): " en somme, nos rêves sont l'inverse de nos 
imaginations à l'état de veille, le mouvement commence à un bout quand nous sommes éveillés, et à et à l'autre quand nous rêvons."