J. LACAN LE SÉMINAIRE livre IV
1956-57
La relation d'objet
Frustration, privation, manque
Qu'est-ce que a relation d'objet?
J. LACAN LE SÉMINAIRE
livre IV
1956-57
La relation d'objet
Théorie du manque d'objet
Les trois formes du manque d'objet:
Lacan amorce une critique sévère à l'encontre des psychanalystes contre ce qu'il nomme le "phallicisme de l'expérience analytique réduit à des données réelles" (p.29) et tout son exposé s'attachera à réintroduire la trinité des termes Symbolique, Imaginaire et Réel.
Si la notion du manque de l'objet est centrale il ne s'agit donc jamais de l'objet réel car si le manque est à référer au registre symbolique, la frustration, elle, trouve ses coordonnées dans le registre imaginaire et la privation ne se conçoit que depuis le réel. L'agent de la triade Mère-Phallus-Enfant est le registre symbolique car c'est lui seul qui donne la référence à la loi : "c'est pour autant que nous définissons par la loi que ça devrait être là, qu'on objet manque à sa place." (p.38) L'objet de la privation est donc bien un objet symbolique "et rien d'autre" quand l'objet de la frustration est un objet réel "toute imaginaire que soit la frustration", (p.38) l'objet de la castration, lui, est un objet imaginaire: "le phallus".
La question centrale de l’œuvre concerne la construction de l'objet imaginaire et sa valeur cinétique dans l'économie de la libido. Ici, le ES est "ce qui, dans le sujet, est susceptible, par l'intermédiaire du message de l'Autre, de devenir Je." Dans l'analyse, il s'agit du signifiant qui est là déjà dans le réel, "du signifiant incompris" (p.49). C'est ce qui est au fond de l'existence de ce signifiant, que Freud a conceptualisé par le terme d'instinct de mort: "La mort, en tant qu'elle est le support, la base (...) par laquelle le signifiant existe." (p.48)
Si l'école de M. Klein et d'A. Freud recherche les prémisses de la relation d'objet dans les stades pré-génitaux, Lacan rappelle au contraire que pour Freud, les théories sexuelles infantiles sont liées à la première maturité du stade génital, qui se produit dans le développement complet de l’œdipe, "à savoir la phase phallique et que sur le plan imaginaire, il n'y a qu'une seule représentation primitive de l'état, du stade génital -le phallus en tant que tel-." (p.49) Forme déjà symbolisée de la stance humaine "cette notion du corps humain en tant qu'érigé, cette stature corporelle constitue des éléments premiers empruntés à l'expérience, mais complètement transformés par le fait qu'ils sont symbolisés: introduits dans le lieu du signifiant comme tel, articulé selon des lois logiques." (p.51) Dans ce sens, tout ce qui concerne le développement prégénital n'est concevable qu'après l'apparition de la théorie du narcissisme. Comme le montre les Trois essais la sexualité infantile se caractérise par un étagement en deux temps: "du fait de la période latence, l'objet premier -la mère- est remémoré d'une façon irréversible, de telle sorte que l'objet ne sera jamais qu'un objet retrouvé." (p.53) De cette retrouvaille naîtra une division essentielle, fondamentalement conflictuelle qui, dans le fait même de sa retrouvaille, implique une discordance du trouvé par rapport au recherché. Voilà à partir de quoi s'introduit la première dialectique freudienne de la théorie de la sexualité.
Pour bien préciser les termes de l'équation Lacan dit à nouveau : "Dans la castration il y a un manque fondamental qui se situe, en tant que dette, dans la chaîne symbolique. Dans la frustration, le manque ne se comprend que sur le plan imaginaire, comme dam imaginaire. Dans la privation, le manque est purement et simplement dans le réel, limite ou béance réelle." (p.55)
La dialectique de la frustration :
La frustration nous donne l'anatomie imaginaire du développement du sujet, elle consiste d'un ensemble d'impressions réelles, vécues par le sujet dans un mode de relation centré sur l'imago primordiale du sein maternel. C'est là que s'articuleront les relations du stade oral et du stade anal toutes marquées du sceau de l'ambivalence. "Nous sommes ici en présence d'un sujet qui est dans une position de désir à l'endroit du sein en tant qu'objet réel" (p.63)
Dès l'origine, il y a deux versants à la frustration ; d'une part l'objet réel et d'autre part l'agent.
- L'objet réel dispense des gratifications, des bienfaits adaptés et dont la plus ou moins
complète saturation, ou au contraire carence, est à considérer comme élément central.
- L'agent lui, implique que l'objet n'est d'instance que par rapport au manque: c'est la mère en tant qu'elle se présente à l'enfant dans ce couplage présence/absence qui est, pour le sujet, articulé dans le registre de l'appel. Ça n'est quand tant qu'il est appelé lorsqu'il est absent ou rejeté quand il est présent que l'objet maternel est agent de la frustration. Le symbole de la frustration se note S(M). "C'est précisément cette scansion de l'appel qui offrira au sujet la possibilité de raccorder la relation réelle à une relation
symbolique". (p.67)
Que se passe t'il quand l'agent symbolique, la mère comme telle, ne répond plus ? "Elle déchoit" nous dit Lacan, "elle devient réelle et alors, les objets que l'enfant veut retenir auprès de lui, ne sont plus tellement des objets de satisfaction, mais ils sont la marque de la valeur de cette puissance qui ne peut pas répondre et qui est la puissance de la mère". (p.69)
Freud nous dit que dans le monde des objets, il y en a un donc la fonction est paradoxalement décisive; c'est le phallus. Cet objet est imaginaire et ne peut se confondre avec le pénis. "La femme a, au nombre de ses manques d'objets essentiels, le phallus" et si elle trouve dans l'enfant une satisfaction c'est très précisément parce qu'elle trouve en lui quelque chose qui calme en elle son besoin de phallus qui le sature. "Alors l'enfant en tant que réel prend pour la mère la fonction symbolique de son besoin
imaginaire" (p.70)
À quel moment l'enfant peut-il se sentir dépossédé lui-même de quelque chose qu'il exige de sa mère, en s'apercevant que ça n'est pas lui qui est aimé mais une certaine image ? "Cette image, l'enfant la réalise sur lui-même, et c'est là qu'intervient à proprement parler la relation narcissique : si la mère manque de ce phallus, c'est qu'elle est elle-même désirante c'est à dire elle-même atteinte dans sa puissance. Ceci sera pour le sujet plus décisif que tout" (p.71) Dans le cas de la phobie, celle-ci deviendra nécessaire justement à partir du moment où la mère manquera de phallus. Dans la relation de dépendance, le sujet sait qu'il lui est indispensable comme si il était le seul dépositaire de cet objet du désir de la mère. Pour Lacan, voilà ce qui fait l'essence de la relation anaclitique par opposition à la relation narcissique. Le terme du père viendra ici introduire la relation symbolique et avec elle la possibilité de transcender la relation de frustration ou de manque d'objet dans la relation de castration en introduisant ce manque d'objet dans une dialectique qui "confère au manque la dimension du pacte, d'une loi, d'une interdiction." (p.84)
Les voies perverses du désir
Après l'étude de la Jeune homosexuelle, Lacan reprend le cas On bat un enfant pour étudier pas à pas l'introduction première dans la dialectique de l’œdipe d'une fille puis d'un garçon avec pour question centrale: qu'est ce que la perversion ?
Il définit trois étapes:
- 1) La situation fantasmatique comporte trois personnages: l'agent du châtiment, celui qui le subit et le sujet. La référence au sujet est celle du tiers, en faveur de qui la chose se produit, anime et motive l'action sur le personnage second, celui qui subit. Ce tiers qu'est le sujet est présentifié comme celui aux yeux de qui cela doit se passer, dans l'intention de lui faire savoir que quelque chose lui ai donné à lui, le privilège de sa préférence.
-2) La seconde étape est duelle, on y trouve cet ou bien, ou bien, qui est le propre de la relation imaginaire qui forme le support psychologique des relations au semblable.
-3) Au troisième temps, le sujet est réduit à une position extrême, tierce, sous la forme d'un pur et simple observant. On en vient à la situation qui est désubjectivée qui est celle du fantasme terminal, à savoir -On bat un enfant.
Dans le fantasme pervers il y a là comme une réduction symbolique éliminant progressivement toute la structure subjective pour n'en laisser subsister qu'un résidu entièrement désubjectivé. Tous les éléments sont là mais tout ce qui fait signification est perdu: "ce qui s'indique l'est sous la forme d'un pur signe". (p119) Lacan nous dit qu'avec le fantasme "quelque chose fixe, réduit à l'état d'instantané, le cours de la mémoire en l'arrêtant en ce point qui s'appelle le souvenir-écran." (p.119) C'est en tant qu'elle ne possède pas le phallus que la fille est introduite à la symbolique du don pour entrer dans l’œdipe alors que pour le garçon c'est par là qu'il en sort. À la fin du complexe d’œdipe, "il faut qu'il fasse don de ce qu'il a. La fille c'est pour autant qu'elle n'a pas qu'elle a à le trouver dans le complexe d’œdipe." (p.123)