J. LACAN LE SÉMINAIRE livre VIII
1960-61
Le transfert
Au commencement était l’amour...
J. LACAN LE SÉMINAIRE
livre VIII
1960-61
Le transfert
P 24 : La cellule analytique, même douillette, n’est rien de moins qu’un lit d’amour. Dans la société, la position de l’amour est une position précaire, clandestine.
J’entends partir de l’extrême de ce que suppose le fait de s’isoler avec un autre pour lui apprendre quoi ? – ce qui lui manque (...) ce qui lui manque il va l’apprendre en tant qu’aimant et (...) je ne suis pas là pour son bien mais pour qu’il aime.
Le ressort de l’amour
Un commentaire du Banquet de Platon
L’amour des garçons est universellement reçu (...) dans cette partie de la Grèce (chez les Boétiens et les Spartiates), non seulement c’était bien vu mais c’était même le service commandé, il ne s’agissait pas de s’y soustraire. L’homosexualité est un fait de culture et aussi bien c’est dans les milieux des maîtres de la Grèce, au milieu des gens d’une certaine classe, au niveau où règne et où s’élabore la culture, que cet amour est mis en pratique.
P43 : La seule chose qui différencie l’homosexualité contemporaine et la perversion grecque (...) c’est la qualité des objets. Chez les Grecs les conditions sont favorables à ce que les jeunes hommes soient l’objet des hommages. Mais la structure, elle, n’est rien à distinguer.
P44 : Dans la société grecque antique (...) les femmes avaient leur vraie place (...) un poids tout à fait éminent dans les relations d’amour – le rôle actif. La différence entre la femme antique et la femme moderne, c’est que la femme antique exigeait son dû, qu’elle attaquait l’homme. Parce que les entreprises des femmes est quelque chose de caractéristique, de cru, l’amour savant justement se réfugiait ailleurs. L’amour savant est l’amour des écoliers..
P46 : L’amour c’est donner ce qu’on n’a pas...
Le procès de ce qui se déroule dans Le Banquet nous permet de qualifier les deux fonctions de l’amant et de l’aimé avec toute la rigueur dont l’expérience analytique est capable.
L’amant apparaît comme le sujet du désir, l’aimé comme celui qui, dans ce couple, est le seul à avoir quelque chose. La question est de savoir si ce qu’il a a un rapport (...) avec ce dont l’autre, le sujet du désir, manque.
Le désir en tant que désir d’autres chose.
La dialectique de l’amour chez Socrate nous permet d’aller au‐delà, et de saisir le moment de bascule, de retournement où de la conjonction du désir avec son objet en tant qu’inadéquat, doit surgir cette signification qui s’appelle l’amour. À qui n’a pas saisi cette articulation et ce qu’elle comporte dans le symbolique, l’imaginaire et le réel, il est impossible de saisir ce dont il s’agit dans cet effet de transfert.
La métaphore de l’amour
Phèdre
P52 : Dans le problème du rapport de l’analysé à l’analyste (…) celui qui vient nous trouver, par principe de cette supposition qu’il ne sait pas ce qu’il a.
Le terme de ce que le patient trouvera n’est autre chose qu’un manque (...) et tout son développement est à proprement parler la révélation de ce quelque chose (...) qui s’appelle l’Autre inconscient. Il nous faut appréhender ce qu’ont d’analogue ce développement et ces termes, avec la situation fondamentale de l’amour.
· Érastès : l’amant. Ce qui le caractérise c’est qu’il ne sait pas ce qui lui manque.
· Érôn : l’aimant
· Érôménos : celui qui est aimé. Celui qui ne sais pas ce qu’il a de caché qui fait son attrait/ ne sait pas ce qu’il a .
· Aucune coïncidence : ce qui manque à l’un n’est pas ce qu’il y a, caché dans l’autre.
P53 : L’amour comme signifiant est une métaphore, si tant est que la métaphore, nous avons appris à l’articuler comme substitution : C’est en tant que la fonction de l’érastès, de l’aimant, pour autant qu’il est le sujet du manque, vient à la place, se substitue à la fonction de l’érôménos, l’objet aimé, que se produit la signification de l’amour.
P56 : Les lois du Banquet se rapportent à un prototype (...) à une succession des discours (Phèdre, Pausanias, Éryximaque, Aristophane, Agathon, Socrate)
1. Phèdre :
Il nous introduit l’amour en nous disant qu’il est un grand dieu. (…) Les dieux, c’est un mode de révélation du réel : lumen, rayonnement, apparition réelle (exemple de la révélation chrétienne) Hegel tend à déplacer le dieu de cette révélation comme dogme vers le Verbe, le logos. Ces révélations que l’homme rencontrait jusque là dans le réel, par le réel qui le déplace, il va les chercher dans le logos, c’est-à-dire au niveau d’une articulation signifiante.
P59 : Pour Phèdre, parler de l’amour c’est en somme parler de théologie. L’amour divin dans la tradition chrétienne (...) une armée d’aimés et d’amants (...) représente la plus haute autorité morale. Notion qui aboutit au plus extrême, à l’amour comme principe du dernier sacrifice.
P61 : Depuis les remarques de Phèdre sur Orphée (...) les dieux ne lui ont pas montré une vraie femme mais un fantôme de femme. (...) La différence qu’il y a entre l’objet de notre amour en tant que le recouvrent nos fantasmes, et l’être de l’autre, pour autant que l’amour s’interroge pour savoir s’il peut l’atteindre.
2. Pausanias :
La psychologie du riche
P66 : L’être de l’autre dans le désir (...) n’est pas un sujet car l’autre en tant qu’il est visé dans le désir, est visé comme objet aimé. Ce qui défaille (...) c’est sa qualité d’objet. Image de la main tendue vers l’objet : une main sort qui se tend à la rencontre de la main qui est la vôtre, et à ce moment c’est votre main qui se fige dans la plénitude fermée du fruit (...) alors, ce qui se produit-là, c’est l’amour.
P67 : C’est votre amour, je veux dire (...) quand c’est vous qui étiez d’abord l’objet aimé (l’érôménos) et que soudain vous devenez celui qui désir (l’érastès). C’est par là que s’introduit dans la dialectique du Banquet le phénomène de l’amour.
P69 : L’amour, dit Pausanias, n’est pas unique. Deux Aphrodites : l’une qui ne doit rien à la duplicité des sexes (Aphrodite Uranienne) l’autre née de l’homme et de la femme (dite Pandémienne). Pour Pausanias elle est la Vénus populaire, tout entière du peuple, la Vénus de ceux qui mêlent tous les amours, qui les cherchent à des niveaux inférieurs, qui ne font pas de l’amour cet élément de domination élevée qu’apporte l’Aphrodite Uranienne. Chez les Athéniens, apparaît à Pausanias le mode supérieur d’appréhension du rite (...) où il paraît très mal que l’aimé refuse ses faveurs à son amant.
P71 : C’est de cette constitution du couple comme l’association du niveau le plus élevé (...) Sur ce plan d’une acquisition, d’un profit, d’une possession, que se produira la rencontre de ce couple, qui va articuler à jamais cet amour dit supérieur (..) qui s’appellera pour la suite des siècles l’amour platonique. Pour Pausanias ceux qui introduisent le désordre dans cet ordre de la postulance, du mérite, sont des sauvages. Ces lois visent à empêcher l’accès aux femmes libres, en tant que par elles s’unissent deux familles de maîtres (nom, valeur, dot) femmes protégées par l’ordre. Signes extérieurs de la valeur.
3. Éryximaque
L’harmonie médicale
P87 : Ce qui est promut dans son discours c’est l’harmonia (...) c’est l’accord. La médecine est la science des érotiques du corps. On ne peut, me semble‐t‐il, donner meilleure définition de la psychanalyse.
P93 : Éryximaque reprend l’opposition du thème de l’amour uranien et de l’amour pandémien concernant le maniement médical, physique de l’amour. Il se rattache à la notion de l’homme microcosme (...) où l’homme et la nature sont une seule et même chose, on ne peut songer à composer l’homme que de l’ordre et de l’harmonie des composantes cosmiques.
4. Aristophane
La dérision de la sphère
P98 : Concernant le Banquet il n’est pas possible de ne pas nous référer au rapport du discours et de l’histoire (...) à savoir comment l’histoire elle‐même surgit d’un certain mode d’entrée du discours dans le réel. La prise du réel (...) est corrélative de la Chose, la praxis essentielle. A son apparition, cette praxis est en elle-même, la thêoria, l’exercice du pouvoir, to pragma, la grande affaire. C’est Empédocle, un tout-puissant, qui s’avance comme maître des éléments.
P100 : Socrate n’est pas celui qui ramène l’homme à l’homme comme l’indique le mot d’ordre de Protagoras l’homme, mesure de toute chose, Socrate lui, ramène la vérité au discours (supersophiste).
P106 : Pour Platon, Aristophane est un poète comique, un pitre, c’est à lui qu’il fait dire les meilleures choses sur l’amour sous le titre de l’énigme :
Héphaïstos dira : « N’est-ce pas ceci – l’objet de vos vœux-: vous identifier le plus possible l’un à l’autre (...) ? Si c’est vraiment de cela que vous avez envie, je veux bien vous fondre ensemble, vous réunir au souffle de ma forge, de telle sorte que de deux comme vous êtes, vous deveniez un, et que, tant que durera votre vie, vous vivez l’un et l’autre en communauté, comme ne faisant qu’un ; et qu’après votre mort (...) au lieu d'être deux vous soyez un (...) »
P108 : Au temps de Platon nous en sommes à une observation (...) d’êtres imaginaires (...) coupés en deux (...) qui ont l’air d’avoir tout ce qu’il faut, deux yeux, tous les organes pairs, mais qui sont aplatis d’une telle manière qu’ils semblent être la moitié d’un être complet.
P110 : La dérision dont il s’agit ici, ce qui est mis sous cette forme ridicule, c’est justement la sphère. (...) La sphère est ce qui fait le plus plaisir au nerf optique (...) c’est un être qui est de tous côtés semblables à lui‐même, sans limites, rempli de sa propre suffisance. Ce sphaïros qui hante la pensée antique est la forme que prend (...) la phase de rassemblement de ce que Platon appelle dans sa métaphysique, l’amour qui rassemble, qui agglomère, qui assimile, qui agglutine.
P115 : Quel est le ressort de la fascination de la forme sphérique ? L’esprit humain pendant des siècles dans cette erreur, s’est refusé à penser qu’en dehors de toute action, de toute impulsion étrangère, le corps est soit au repos, soit en mouvement rectiligne uniforme. Sous la plume de Platon ce dont il s’agit dans ces formes où rien ne dépasse et ne se laisse accrocher, à quoi tient l’adhésion affective à ces formes comme fondements dans la structure imaginaire sinon à la Verwerfung de la castration.
Ces êtres séparés en deux (...) vont mourir dans une vaine étreinte à se rejoindre. Comment la question va-t-elle se résoudre ? On va leur dévisser le génitoire qu’ils ont à la mauvaise place, parce que c’est à la place où c’était quand ils étaient ronds, à l’extérieur, et on va leur revisser sur le ventre. Unique et stupéfiant cette opération sur le sujet des génitoires. L’ordre génital vient là comme possibilité de coupure et comme jonction avec l’objet aimé sur fond de référence au phallus.
5. Agathon
L’atopie d’Éros
P117 : Dans la doctrine de Freud, le désir est pris dans une dialectique parce qu’il est suspendu, sous forme de métonymie, à une chaîne signifiante constituante du sujet. Le génie de Freud est d’avoir désigné le support de cette chaîne.
P118 : Les conditions du désir (...) : que le sujet conserve une chaîne articulée hors de la conscience, inaccessible à la conscience. C’est une demande, latente, inaccessible qui constitue une revendication éternisée dans le sujet.
P 122 : Ce pourquoi Freud trouve sa figure fondamentale dans la tragédie d’Œdipe, c’est le il ne savait pas, qu’il avait tué son père et couchait avec sa mère. Voici les termes fondamentaux de notre topologie et (...) ce que Socrate appelle science c’est ce qui s’impose à toute interlocution (...) qui est lié à la pure et simple référence au signifiant.
P124 : Pour Socrate il n’y a à craindre que cette « seconde mort » incarnée dans sa dialectique par le fait qu’il porte la cohérence du signifiant à la puissance absolue (...) seul fondement de la certitude (dogma) que lui, Socrate, trouvera sans aucun doute sa vie éternelle. Parce qu’il semble méconnaître que sa bouche est chair (...) son affirmation est une apparition (...) de l’ordre du noyau psychotique. Il réduit la métaphore en une formidable métonymie dont le résultat est ce désir qui s’incarne dans une affirmation d’immortalité. Pour rappel (p. 56) Aristophane est en partie responsable de la condamnation et de la fin tragique de Socrate.
P128 : Il s’agit pour nous d’articuler et de situer ce que dois être le désir de l’analyste (...) sans être un Socrate, ni un pur, ni un saint (...) ces explorateurs peuvent nous donner quelques indications concernant le champ du transfert (...). Définir les coordonnées (longitude/latitude) que l’analyste doit être capable d’atteindre pour simplement occuper cette place : celle qu’il doit offrir vacante au désir du patient pour qu’il se réalise comme désir de l’Autre.
P129 : Comme l’amour est le plus fort de tous les désirs, l’irrésistible volupté, il sera confondu avec la tempérance, puisque la tempérance est ce qui règle les désirs et les voluptés. En droit, l’amour doit donc s’identifier à la position de la tempérance (ref Aristote/Éthique à Nicomaque).
IX. Sortie de l’ultra-monde
P151 : Nous en sommes au point où Socrate parlant de l’amour, fait parler à sa place Diotime. Par une singulière division, c’est la femme qui est en lui (...) que Socrate laisse parler.
P155 : La dialectique de l’amour telle qu’elle est développé par Diotime rencontre la fonction métonymique du désir (...) quelque chose qui est au‐delà des objets (...) vers une perspective sans limite.
P157 : Le discours d’Agathon échappe à la dialectique de Socrate. Il ne savait pas. Ici prend tout son sens le mythe qu’à introduit Diotime de la naissance de l’amour. L’amour est conçu pendant le sommeil de Poros, le tout‐sachant et tout‐puissant. C’est pendant qu’il dort, au moment où il ne sait plus rien, que se produit la rencontre d’où s’engendre l’Amour. Celle qui s’insinue par son désir pour produire cette naissance, l’Aporia, l’érastès (celle qui ne sait pas ce qui lui manque) : la désirante originelle.
X. Agalma
La fonction de l’objet partiel est une des plus grande découverte de l’investigation analytique. (...) Nous ne nous sommes pas dit que cet autre en tant qu’objet de désir, est peut‐être l’addition d’un tas d’objets partiels (...) que le ça est peut‐être un vaste trophée de tous ces objets. (...) Avec notre idée d’une harmonie préétablie le problème est résolu, en savoir qu’en somme, il suffit d’aimer génitalement pour aimer l’autre lui-même.
P174 : Niaiserie analytique : il y aurait une supériorité quelconque en faveur de l’aimé, du partenaire de l’amour, à ce qu’il soit (...) considéré comme un sujet.
XII. Le transfert au présent
Les positions théologiques fondamentales enseignées par le christianisme proviennent des spéculations issues de Socrate dans le Banquet.