J. LACAN LE SÉMINAIRE livre IX
1961-62
L'identification
Le moi et son idéal
J. LACAN LE SÉMINAIRE
livre IX
1961-62
L'identification
Quand on parle d'identification, ce à quoi on pense d'abord, c'est à l'autre à qui on s'identifie et la porte m'est facilement ouverte pour insister sur cette différence de l'autre à l'Autre, du petit autre au grand Autre. (p.5)
Chaque langue apporte, par rapport à l'histoire générale du langage, des vacillations propres à son génie et qui les rendent, telle ou telle, plus propice à mettre en évidence l'histoire d'un sens. C'est ainsi que nous pourrons nous arrêter à ce qui
est le terme de l'«identité ». Dans ces termes : « identification et identité», il y a le terme latin idem. (p.7)
Ce « moi-même » étant déjà ce metipsissimum : une sorte “d'au jour d'aujourd'hui” qui est bien là dans le « moi-même ». C'est là que s'engouffrent, après le moi, le toi, le lui, le elle, le eux, le nous, le vous et jusqu'au soi qui se trouve donc en français être un « soi-même ». En grec, le αὐτός [autos] du soi est celui qui sert à désigner aussi le « même », de même qu'en allemand et en anglais, le selbst ou le self qui viendront à fonctionner pour désigner l'identité.
Le "Je pense donc je suis" de Descartes est une pensée de penseur. Pour Lacan, la pensée commence à l'inconscient. Le phénomène de penser est imaginaire. "Je pense" signifie : "je sais que je penses" et ne peut être que ce sujet-supposé-savoir au fondement duquel on ne peut supposer aucun sujet au savoir si ce n'est le Autre. (p.20) Cet Autre n'est pas un sujet mais un lieu auquel on s'efforce depuis l'enseignement d'Aristote d'y transférer les pouvoirs du sujet. L'Autre est un "dépotoir des représentants représentatifs" de cette supposition de savoir et c'est ceci que nous appelons l'inconscient pour autant que le sujet s'est perdu lui-même dans cette supposition de savoir. (p.20)
Cet apport de Lacan rappelle l'indication donnée par FDA à sortir le sujet de son ignorance en séance. Lors d'une supervision j'invitai par exemple un patient à "dire ce qu'il sait" après plusieurs : "je ne sais pas" et, pour le superviseur, cette invitation plonge le sujet dans un méandre imaginaire. J'ai compris qu'il fallait plutôt inviter à "dire sans savoir". Car cette supposition de savoir, le sujet lui, l'impute à un autre sujet quand il se réfère précisément à l'Autre en tant que le lieu de la scène inconsciente. Pour Lacan, "le sujet entraîne ça à son insu” et "ça" ce sont les débris qui lui reviennent de ce que pâtit sa réalité. Débris plus ou moins méconnaissables (...) qu'il voit revenir en disant "c'est bien ça" ou "ça n'est pas ça du tout". (p.21) Ce que Lacan entend par identification est une "identification de signifiant" à distinguer de "l'identification imaginaire" qui elle, est consécutive du stade du miroir.
Définition de la diachronie : [Gén. en corrélation avec synchronie] Caractère des faits linguistiques considérés du point de vue des phases de leur évolution dans le temps. La distinction entre synchronie et diachronie s'appliquait essentiellement, dans l'esprit de F. de Saussure, aux études linguistiques concrètes : états de langue déterminés, évolution de langues déterminées (Perrot, Ling.,1953, p. 106). Pour Lacan la synchronie, elle, est en rapport avec le sujet supposé savoir.
Nous sommes des êtres jetés dans le monde, d'où la formulation Heidegger de "l'être pour la mort". La formule "je pense" est un questionnement : "à partir de quoi je pense ?" Penser va donc de paire avec l'être que Lacan nomme un "êtrepenser", à la manière dont on dit "je compense/je décompense".
Cette question de la décompensation s'est posée lors du dernier colloque. Je me suis interrogé sur la légitimité du terme en psychanalyse, car si en psychiatrie la décompensation renseigne sur des défenses psychiques qui ne joueraient plus leur rôle au point que dans la psychose par exemple, les contenus inconscients viendraient envahir le vécu conscient. Au RPH il n'est jamais de "décompensation" radicale car nous considérons que les vécus d'angoisse sont dans leur expression un fait de structure. Dans ce sens, l'alternance entre souffrance et apaisement révèle la lutte du moi contre les effets de la résistance du surmoi. Si l'angoisse devient massive il convient "d'aérer" le discours en usant de la technique de la nomination, de celle de l'écarteur, etc. C'est dans ce sens que je comprends Lacan lorsqu'il prétend que le sujet n'est qu'un "je pensêtre".
Pour Brentano, la conscience de soi est impermanente car faite de diachronie et de synchronie. Ce qui donne ce semblant de permanence est le Un ; le trait qui supporte la chaîne signifiante et donne le leurre de la "mêmeté". (p.36) C'est ce leurre du "même" qui semble être pour Lacan la fonction de l'idéal du moi. Le "1" est l'instrument de l'identification primaire. La fonction du signifiant (le trait) est celle d'une garantie de vérité ("du vrai de vrai"). Le sujet est chargé d'amener du vrai dans le réel.
J'aime beaucoup l'exemple du chien de Lacan en ce qu'il nous permet de saisir combien c'est parce que l'être est pris dans la chaîne signifiante qu’il est le seul à pouvoir substituer un sujet à un autre sujet. "Mon chien sait que moi c'est moi!" dit Lacan.