J. LACAN LE SÉMINAIRE livre XX

1972-73


Encore

Un corps ça se jouit


J. LACAN LE SÉMINAIRE 

livre XX

1972-73

Encore

L’année dernière, j’ai intitulé ce que je croyais pouvoir vous dire : « …ou pire », puis : « ça s’oupire », (s, apostrophe). Ça n’a rien à faire avec « je » ou « tu » : « je ne t’oupire pas », ni « tu ne m’oupires ».(p1)

 

Cette phrase m’a fait pensé à l’indication du superviseur lorsque le clinicien entend un souffle, un bruit chez le patient. Particulièrement en ce moment lors des séances par téléphone, le soupir s’examine : « faites de ce soupir une parole » par exemple. Là où « ça s’oupire », réside le « je n’en veux rien savoir », l’impossible à dire, le mur de l’impossible du savoir non su. 

 

L’usufruit ça veut dire qu’on peut jouir de ses moyens mais qu’il ne faut pas les gaspiller. Quand on a reçu un héritage, on en a l’usufruit, on peut en jouir à condition de ne pas trop en user. C’est bien là qu’est l’essence du droit : c’est de répartir, de distribuer, de rétribuer, ce qu’il en est de la jouissance. (p4)

 

Un psychanalysant de structure obsessionnelle a vu ses symptômes se déclencher à la naissance de sa seconde fille. Pour lui, jouir de ses moyens implique de ne pouvoir les répartir, les distribuer entre ses filles. Il dit par exemple « il n’est pas possible de donner au deuxième enfant sans retirer dans le même temps au premier. » Comme si le psychanalysant était face au commandement du surmoi : « jouis ! », la jouissance sexuelle est spécifiée ici par une impasse. (p7)

 

Je crois démontrer : la stricte équivalence de topologie et structure. (p7)

 

[Dans la séance du 21-12-1972 Lacan a rappelé « la stricte équivalence de topologie et structure » développée dans L’étourdit (daté du 14-07-1972), où il montre que cette topologie (moebienne) du discours A permet de passer :

  • des « discours univoques » à topologie « sphérique » (→ H,U,M : à deux faces, avec un intérieur et un extérieur, un signifiant support de la « distinction », et un signifié, etc.), qui relèvent de la linguistique,
  • à « un discours multivoque » à topologie moebienne qui, comme la bande de Moebius, n’a qu’une face (ex. de la continuité des deux topologies dans le cross-cap), et qui concerne S1 le signifiant asémantique, la « bêtise » de la singularité, S1 coupé du savoir : S1◊ S2 → qui relève de la linguisterie]

 

Seul le discours A soutient l’impossibilité du rapport sexuel [S1◊S2], les autres discours en soutiennent la possibilité (couverture de la faille par la jouissance phallique) : 

 

  • le discours M : avec S1→ S2 : rapport maître-esclave → production de a mais au prix de l’incomplétude du discours (exclusion de S), 
  • le discours H : avec S→ S1 : S1→ S2 contingent : production d’un savoir S2 mais au prix de l’inconsistance du discours, (exclusion de a) 
  • le discours U : avec S2→ a : S1→ S2 nécessaire et production de sujets de la connaissance mais au prix de l’indémontrable du discours (exclusion de S1)]. 

L’espace de la jouissance sexuelle est borné, fermé. Il est soumis à la finitude, il est démontrable, c’est le lieu de l’Autre. Là où l’être, c’est l’exigence de l’infinitude dans le Parménide de Platon dans l’exigence de l’Un. (ne faire qu’un en couple par exemple)

 

Parce que l’être sexué, lequel donc ne passe pas par le corps [lequel n’aboutit qu’aux objets partiels → (a)sexué] mais par ce qui résulte d’une exigence dans la parole, d’une exigence logique, et ce très précisément en ceci que la logique, la cohérence inscrite dans le fait qu’ex-siste le langage, qu’il soit hors de ces corps qui en sont agités, l’Autre - l’Autre avec un grand A - maintenant qui s’incarne [le S2 de la femme comme S(A)]- si l’on peut dire - comme être sexué exige cet « une par une ».

 

Sans faire de l’un-par-un, on tombe dans la philosophie matérialiste (recherche de substance) et existentielle (qui a trait à l’être posé comme absolu) ce qui empêche de pouvoir faire le joint, la couture, la jonction avec le fait que l’être est parlé, qu’il se réfère à un autre discours. 

 

Est-ce qu’à le centrer sur ce que je viens de vous imager de cet espace de la jouissance sexuelle, à être recouvert de l’Autre côté, par des ensembles ouverts et aboutissant à cette finitude... (p 8)

 

Autre avec un grand A à « Autre côté » pour bien marquer que c'est du côté de la jouissance de l'Autre, considérée comme un espace compact où se déploient des recouvrements ouverts à l'infini dont on peut, précisément parce que cet espace est compact, extraire un sous-recouvrement fini (donc extraire du « une par une » de l'infini). La jouissance de l'Autre côté est ici opposée à la jouissance phallique, elle aussi considérée comme un espace compact mais où se déploie cette fois une sous-famille finie d'espaces fermés dont l'intersection est non vide, ce qui permet, toujours parce que l'espace est compact, de conclure que toutes les familles - y compris donc les familles infinies - ont elles-mêmes une intersection non vide (donc tirer une conclusion sur de l'infini là où l'hypothèse porte sur du fini). [Note de l’édition critique E.L.P.] (p8)

 

19 Décembre 1972

 

« Le dire est justement ce qui reste oublié derrière ce qui est dit dans ce qu’on entend ». C’est pourtant aux conséquences du dit que se juge le dire (p26)

 

Qu’est-ce qu’un signifiant ? (p28)

 

  • En ce qui concerne le langage, le signifiant est d’abord qu’il a effet de signifié, qu’il importe de ne pas élider qu’entre les deux il y a ce qui s’écrit comme une barre, qu’il y a quelque chose « de barre » à franchir.

 

  • Le signifiant peut être collectivisé, qu’on peut en faire une collection, c’est-à-dire en parler comme de quelque chose qui se totalise.

 

  • Ce n’est pas le mot qui peut le fonder ce signifiant, le mot n’a d’autre point où se faire collection que le dictionnaire, où il peut être rangé.

 

  • Le signifié a pour propriété (…) de s’obtenir après un temps d’extraction du langage de ce quelque chose qui y est pris.

 

« L’inconscient comme structuré par un langage » (p30)

 

  • Un corps ça se jouit (p30)

Il ne se jouit que de le corporiser de façon signifiante : On ne peut jouir que d’une partie du corps de l’autre, comme il l’exprime très, très bien, pour la simple raison que : on n’a jamais vu un corps s’enrouler complètement, totalement, jusqu’à l’inclure et le phagocyter autour du corps de l’autre.

 

  • C’est le corps de l’un qui jouit d’une part du corps de l’autre.

Opération marquée de toute l’ambiguïté signifiante, à savoir que le « jouir du corps » est un génitif, donc selon que vous le faites objectif ou subjectif :

– a cette note sadienne, sur laquelle j’ai mis juste une petite touche [génitif subjectif : en jouir comme objet partiel],

– ou au contraire extatique, suggestive, qui dit qu’en somme c’est l’Autre qui jouit [génitif objectif].

 

Le signifiant se situe au niveau de la substance jouissante(p31)

 

La physique aristotélicienne est une physique illusoire car le signifiant c’est la cause de la jouissance. C’est une partie qui, du corps [cause matérielle], est signifiée dans cet abord. [Aristote dans sa Physique distingue quatre types de « causes » : la cause matérielle, la cause formelle, la cause efficiente, la cause finale]

 

Le signifiant c’est ce qui fait « halte ! » à la jouissance 

 

Et l’étreinte, l’étreinte confuse d’où la jouissance prend sa cause, sa cause dernière, qui est formelle, est-ce que ce n’est pas beaucoup plus quelque chose de l’ordre de la grammaire qui la commande ?