Œuvres complètes 

- psychanalyse - vol. X : 1909-1910

Léonard de Vinci. Un cas de paranoïa. Cinq leçons. Autres textes

Œuvres complètes - psychanalyse - 

vol. X : 1909-1910

La paranoïa

Léonard de Vinci. Un cas de paranoïa. Cinq leçons. Autres textes

Remarques psychanalytiques sur un cas de paranoïa décrit sous forme autobiographique 

 

Daniel Paul Schreber, né en 1842, était juge au tribunal de grande instance de Chemnitz lorsqu'il se présenta aux élections pour le Reichstag de 1884 (assemblée parlementaire représentant le peuple allemand dans son ensemble sous l’Empire allemand, de 1871 à 1918) comme candidat du parti national-libéral. Après son échec il fut hospitalisé six mois (..) à Leipzig, clinique dirigée par Flechsig. Cette personne joua un rôle important dans le délire de Schreber, d'abord neuro-anatomiste réputé, il devint professeur de psychiatrie et publia un article en 1884 intitulé Sur le traitement gynécologique de l'hystérie », préconisant la pratique de la castration en tant que moyen thérapeutique dans les névroses et les psychoses. En 1893 Schreber fut nommé président de chambre à la cour d'Appel de Dresde, et ré hospitalisé d'abord à Leipzig, puis en 1894 à l'asile de Sonnenstein, à Pirna où il resta jusqu'en 1902. En 1900-1902 il avait écrit ses Mémoires et intenté une action pour obtenir sa sortie d'asile. En 1907, il fut réadmis à l'asile de Leipzig-Dösen, et il y mourut le 14 avril 1911, au moment où était publiée l'étude que Freud venait de lui consacrer. Il faut noter que son frère aîné s'était suicidé en 1877 et que leur père, médecin, éducateur et réformateur social, fut l'inventeur et le propagandiste infatigable de méthodes de gymnastique médicale qu'il pris soin d'appliquer à ses propres enfants.

Histoire de malade

 

Selon Schreber, « l'extraordinaire charge de travail devant laquelle il se trouvait en entrant dans ses fonctions » a conduit au « surmenage de l'esprit » qui donna lieu à la première affection qui dura six mois à partir de l'automne 1884 et pour laquelle son médecin qualifia l'état « d'hypocondrie grave.» (p.233) C'est huit après qu’eut lieu la seconde affection, elle débuta fin octobre 1893 par une insomnie torturante qui le fit se rendre à nouveau  à la clinique de Flechsig. Dans les premiers certificats médicaux on trouvait : « des idées hypocondriaques, le patient disait souffrir de ramollissement du cerveau, de crainte de la mort. » (p.234) Des idées de persécution s’immisçaient déjà dans le tableau de la maladie, sur la base « d'illusion de sens, hyperesthésie intense, grande sensibilité à la lumière et au bruit, plus tard s'accumulèrent les illusions de la vue et de l'ouïe et, en liaison avec ces troubles cénesthésiques, elles gouvernèrent chez lui toutes forme de ressentir et de penser ; il se tenait pour mort et en voie de décomposition, pour malade la peste, croyait dans son délire que toutes sortes de manipulations abominables étaient pratiquées sur son corps et (…) ceci à des fins sacrées. » (p.235) Il nommait son précédent médecin un « meurtrier d'âme » (Seelenmord est un mot dans la langue allemande et d'autres langues européennes qui veut dire meurtre spirituel (Muret-Sanders, 1897) Schreber était arrivé dans l'établissement Sonnenstein, près de Pirna après un court séjour intermédiaire en juin 1894 et il y restera jusqu'à ce que son état prît sa configuration définitive. 

Selon Weber « à partir de la psychose initiale plus aiguë qualifiée de délire hallucinatoire, le tableau de la maladie paranoïaque (...) se dégagea par cristallisation. D'une part en effet il avait développé une ingénieuse construction délirante (...), d'autre part sa personnalité s'était reconstruite et s'était montrée, mis à part tel ou tel trouble, à la hauteur des tâches de la vie. » (p.236) « Le malade, si extensivement modifié, se considérait lui-même comme apte à l'existence et entreprit les démarches appropriées pour  imposer la levée de sa curatelle et sa sortie de l'établissement. Dans les requêtes répétées présentées au tribunal Schreber « ne déniait absolument pas son délire et ne faisait pas mystère de son intention de livrer au public les « Mémoires ». Il soulignait bien plutôt la valeur de ses cheminements de pensée pour la vie religieuse (...) se référait aussi au caractère absolument inoffensif de toutes les actions auxquelles il se savait forcé par le contenu de son délire. »

En filigrane à ses revendications qui doivent s'inscrire sous le sceau de la loi, on perçoit la justification des tortures imposées par un père à son fils qui, en vertu de la bonne morale et de la bonne santé, rendent des sévisses légitimes et « inoffensifs. » Dans le verdict qui rendit la liberté au Dr Schreber, le contenu de son système délirant est résumé en peu de phrases : « Il se considérait comme appelé à rédimer le monde et à lui apporter de nouveau la béatitude perdue. Mais cela, il ne le pouvait que s'il était auparavant transformé d'homme en femme.» (p.237) Si, pour le psychiatre, le délire « influe sur la conduite de vie du malade, » pour le psychanalyste « ces formations de pensée si singulières (...) procèdent des motions les plus générales et les plus compréhensibles de la vie d'âme. » (p.239)

 

En s'appuyant sur l'étude des Mémoires, Freud dira que « ce délire primaire, cette transformation en femme fut d'abord jugée comme étant un acte de préjudice et de persécution graves et qu'elle n'entra que secondairement en relation avec le rôle de rédempteur. Elle devait d'abord s'effectuer à des fins d'abus sexuel et non au service d'intentions supérieures. (...) Le délire de persécution sexuel s'est chez le patient remodelé après coup en délire des grandeurs religieux. » (p.240)

Selon Freud, « les paranoïaques ne peuvent être contraints à surmonter leurs résistances internes et d'ailleurs ne disent que ce qu'ils veulent en dire, c'est à bon droit que justement dans cette affection, le rapport écrit ou l'histoire du malade imprimée interviennent comme substitut de la connaissance personnelle du malade. » (p.231) Neuf ans après la première affection qui conduit Schreber à être placé sous curatelle, seront publiés ses Mémoires intitulées « Mémoires d'un malade des nerfs ». Freud dira que « la transformation en une femme (émasculation) était le délire primaire » (p.240) et Schreber confirmera l'importance de la rédaction de l'histoire de vie par le malade lui-même : « voilà une pensée (émasculation) qui ne s'est imposée à moi que beaucoup plus tard, et même, pour une part, comme je suis en droit de le dire, ne m'est venue clairement à la conscience que pendant la rédaction du présent essai. » (p.241)

A l'entrée dans la maladie, Schreber été âgé de 51 ans, Freud fait l'hypothèse qu'ayant nourri une certaine sympathie à l'égard de son médecin lors de sa première hospitalisation, les effets opérants du transfert auraient ravivé son souvenir de leur relation lors de sa seconde décompensation : « plus concrètement, de part la personne du médecin, le malade a été amené à se souvenir de ce qu'étaient son frère ou son  père (...) » (p.269) Après investigations, Freud découvre que le père et le frère de Schreber étaient déjà de « bienheureux défunts » lors de ses entrées en maladie. Il identifie ses facteurs déclenchant en mettant en cause un « fantasme d'homosexualité passive » (p.270) dans lequel l'être désiré ( le médecin) devient le persécuteur, « le contenu du fantasme devient le contenu de la persécution. (...) l'une des transformations consiste dans le remplacement de Flechshig par la personne supérieure qu'est Dieu. » (p. 270)