Œuvres complètes

 - psychanalyse - vol. XV 1916-1920

Au-delà du principe de plaisir. L'inquiétant. Un enfant est battu. 
Un cas d'homosexualité féminine. Autres textes.

Œuvres complètes - psychanalyse - 

vol. XV : 1916-1920

Au-delà du principe de plaisir. L'inquiétant 

Un enfant est battu. 
Un cas d'homosexualité féminine. Autres textes.

Au-delà du principe de plaisir

 

Si tout l'appareil psychique est gouverné in extenso par une tension empreinte de déplaisir, la cure atteste de ce processus toujours dirigé vers son abaissement. La métapsychologie freudienne met en relief les aspects topiques, dynamiques et économiques du principe de plaisir dans les faits de l'observation quotidienne montrant combien il est propre à un mode primaire de travail psychique. "Il  agit sous l'influence des pulsions d'autoconservation du moi pour se voir relayé par le principe de réalité, lequel, sans abandonner la visée d'une obtention de plaisir finale, exige et impose l'ajournement de la satisfaction, le renoncement à toutes sortes de possibilités de celle-ci et la tolérance temporaire du déplaisir". (p.280)


Dès 1920, Freud expose la dynamique pulsionnelle comme tout ou parties qui s'avèrent, dans leurs buts ou revendications, inconciliables entre elles et ne pouvant se rallier à l'unité englobante du moi."De cette unité, elles sont alors séparées par clivage grâce au refoulement et retenues à des stades inférieurs du développement psychique, alors coupées d'une possibilité de satisfaction." Les voies détournées qu'elles emprunteront donnent lieu à une satisfaction directe ou substitutive (...) ressentie par le moi comme déplaisir." (p.281) Freud n'est qu'au début de sa recherche mais affirme déjà "qu'à coup sûr tout déplaisir névrotique est d'une telle espèce, il est du plaisir qui ne peut pas être ressenti comme tel." 

Le FORDA

 

Par le jeu, l'enfant répète des expériences passives de déplaisir en s'engageant dans un rôle actif qui consiste à jeter au loin des objets à la place des personnes ("c'est moi-même qui t'envoie au loin!") Alors, tout ce qui dans la vie leur a fait grande impression est abréagit (Formé du préf. lat. ab- exprimant l'éloignement, « hors de » et de réagir*), infligeant dès lors à un autre imaginaire le désagrément subit par lui.

 

Évolution de la technique psychanalytique

Si pendant vingt-cinq ans la technique psychanalytique portait sur les résistances du malade ("tout l'art était de les mettre à découvert le plus tôt possible," (p.288) la suggestion agissant en tant que transfert visait à inciter le patient à les abandonner. Mais alors, le but thérapeutique d'un "devenir-conscient de l'inconscient" -loin d'être atteint du fait du manque de justesse de l'interprétation proposée - l'obligeait bien plutôt à "répéter le refoulé comme comme expérience vécue présente au lieu de s'en souvenir comme d'un morceau du passé." (p.288) Voici la définition première de ce Lacan a nommée la relation imaginaire: "la névrose antérieure est remplacée par une névrose de transfert toute fraîche !" Le succès thérapeutique dépendant bien plus de "la capacité du patient à surplomber les choses, en vertu de laquelle, ce qui apparaît comme réalité est, malgré tout, reconnu comme étant encore et toujours un reflet d'un passé oublié." (p.289)

Pour appréhender plus justement cette "contrainte de répétition," Freud rappelle qu'il faut "s'affranchir de l'erreur selon laquelle on aurait affaire, lorsqu'on combat les résistances, à la résistance de l'inconscient." (P289) En effet, bien au contraire, l'inconscient ne tend à rien d'autre qu'à "se faire un chemin jusqu'à la conscience ou jusqu'à l'éconduction par l'action  réelle." (p.289). La tâche du médecin est alors de "mettre en opposition non pas le conscient et l'inconscient, mais le moi cohérent et le refoulé." (p.290) La résistance provient dès lors du moi et la contrainte de répétition elle, est l'opération du refoulé inconscient. Celle-ci ne pouvait se manifester avant que le travail de la cure (la position a-a') n'ait relâché le refoulement. Cette relation en appel au principe de réalité pour lequel l'effort du médecin consiste à ce qu'un "déplaisir soit autorisé à entrer malgré la résistance du moi. D'où la pertinence de la technique "de l'écarteur" de F.D.A qui permet au patient de revenir faire une seconde séance si la tension de déplaisir insiste. Ici, le déplaisir entre en jeu mais il n'interrompt pas le cour de la parole car, bien au contraire, le psychanalyste invite le patient à venir dire ce qui le fait souffrir. Il y alors dans cette tension entre parole et suspension et dans le suspense initié par la technique, un questionnement intérieur dont l'objet viserait l'unification des parties clivées du moi (Quelques exemples issus de la clinique : Pourquoi partir si je dois revenir ? Qu'est-il attendu de moi ? Que vais-je dire que je n'ai pas déjà dit ? etc.)

Le "sentiment d'infériorité des névrosés" s'origine dans les expériences les plus douloureuses de perte d'amour et d'échec agissant comme la cicatrice narcissique d'une atteinte, devenue permanente, du sentiment de soi. Vécu amère de la fin de l'amour typique de la période enfantine où, la liaison tendre avec le parent de sexe opposé a "succombé à la désillusion, à la vaine attente de satisfaction, à la jalousie (...) et où, à l'occasion d'une punition ou de paroles sévères aurait finalement révélé au patient toute l'ampleur du dédain qui lui était dévolu." (p.291)


Les expériences affectives douloureuses ou les circonstances non souhaitées se voient alors rejouées dans le transfert. Parmi les multiples tentatives mis en œuvre par le patient pour s'éviter le déplaisir (abandon de la cure, reproches au médecin..), il "remplace aussi l'enfant ardemment désiré de l'époque originaire par le projet ou la promesse d'un grand cadeau."(p.293) La pensée de P. Ricoeur prend ici tout son sens car la possibilité même de cette « parole tenue dans la fidélité à la parole donnée 1» indique chez le patient une permanence dans le temps d’un tout autre genre ; un « maintien de soi » malgré la force de la contrainte de répétition. Quand P. Ricoeur prétend que l'« identité de soi » (ipsé) est irréductible à celle du même (idem), il ne dit rien d'autre que ce que prétend Freud, pour qui il n'y a rien d'étonnant à ce que cet "éternel retour du même (...) ne fasse revivre toujours la répétition du même destin là où le patient semblait vivre passivement quelque chose sur quoi il ne lui revenait aucune influence." (p.293)

Le recours au même est la fonction première de la contrainte de répétition qui s'enracine dans les activités précoces de l'enfant et dans les expériences vécues de la cure. Cette répétition d'où découle la première impression de nouveauté est si caractéristique de la jouissance, qu'elle pousse Freud à dire que "toujours, la nouveauté sera la condition de la jouissance" (p.307), que "l'enfant veut entendre encore et toujours la même histoire plutôt qu'une nouvelle, s'en tenant inexorablement à l'identité de la répétition (...) et à ce fait fondamental d'avoir à retrouver l'identité qui constitue en elle-même une source de plaisir." (p.307) La philosophie de P. Ricoeur et de J. Derrida pose une dimension ontologique constituante de la subjectivité : " dans ce mouvement où s’articulent la présence et la non-présence, l’auto engendrement du temps dans la répétition repose sur la distinction entre le retour du même comme « rapport à soi dans la différence d’avec soi » et non comme identique (Derrida, 1967, p 752).

Freud ramène à cette contrainte de répétition, les rêves des névrosés du fait d'accident et l'impulsion de l'enfant au jeu. Cependant, elle ne sera saisissable à l'état pur que dans de rares cas car rarement sans le concours d'autres motifs. Elle apparaît à Freud "plus originelle, plus élémentaire que le principe de plaisir  qu'elle met à l'écart." (p.294) Dans la cure, "les phénomènes de transfert se trouvent ouvertement au  service de la résistance du moi qui s'obstine au refoulement, la contrainte de répétition, que la cure voulait mettre à son service, est pour ainsi dire tirée de son côté par le moi, qui veut rester attaché au principe de plaisir." (p.294)

 

Chapitre IV

Ce volume des Œuvres Complètes a été écrit par Freud après celui de l'Interprétation des rêves (Volume IV) dans lequel l'analyse topique qu'il fournissait du système psychique ordonnait les instances Cs/Pcs/Ics dans le sens linéaire de la décharge motrice : "A l'extrémité motrice nous donnerons le nom  de Préconscient, pour suggérer que les processus d'excitation peuvent y parvenir à la conscience sans être davantage retenus. (...) C'est simultanément le système (...) de la motilité volontaire. Au système qui se trouve derrière lui, nous donnons le nom d'Inconscient, parce qu'il n'a aucun accès à la conscience autrement qu'en passant par le Préconscient (...) 3

Il précisera ainsi qu'un "système, le plus en avant de l'appareil, le Conscient, enregistre les stimuli perceptifs, mais n'en conserve rien, n'ai donc pas de mémoire, et qu'à l'arrière de celui-ci soit disposé un deuxième système qui transpose en traces durables l'excitation momentanée.(ref citée p.581)"

 

"Alors, la conscience apparaît à la place de la trace mnésique" (p.296) Le système de la Cs est positionné entre les stimuli extérieurs et les stimuli intérieurs et "face à l'extérieur il y a un part-stimuli" réduisant la proportion d'excitation, (...) alors que vers l'intérieur, le pare-stimuli est impossible (...) et engendre une série de sensations de plaisir-déplaisir." Freud en tire deux conclusions : la prévalence des  sensations de plaisir ou de déplaisir attribués à l'extérieur renseigne sur le cour des processus internes (ils sont "indexés sur eux.") Enfin, elle dirige les comportements contre ces excitations internes. Il en  résultera le mécanisme projectif comme "penchant à les traiter comme si elles venaient non pas de l'intérieur, mais au contraire de l'extérieur." (p.300)

Concernant l'effraction de la conscience par le trauma, Freud rappelle d'abord sa distinction entre effroi, peur et angoisse : "L'angoisse désigne l'état d'une attente du danger et préparation à celui-ci. La peur réclame un objet déterminé dont on a peur. L'effroi dénomme l'état dans lequel on tombe quand on encoure un danger sans y être préparé. " (p.282) Ensuite, lors de son enseignement dans Les Trois traités sur la théorie sexuelle (1905-1915), il est précisé "qu'une grossière lésion simultanée causée par le trauma diminuent les chances d'apparition d'une névrose dans deux circonstances : Premièrement, parce que l'ébranlement mécanique doit être reconnu comme l'une des sources de l'excitation sexuelle.

Pour rappel:
1/ Phase orale ou cannibale (prégénitale) dans laquelle l’activité sexuelle n’est pas séparée de  l’ingestion des aliments et où le but sexuel est constitué par l’incorporation de l’objet.

2 / Phase sadique anale (prégénitale) où se manifeste 2 antagonismes : actif et passif. Pulsion de maîtriser -musculaire- et pulsion de supporter -muqueuse intestinale- Ici, se trouve déjà une polarité sexuelle mais sans assujettissement des pulsions partielles à la fonction de procréation.

3 / Une ambivalence de ces tendances de force égale dans le choix de l’objet sexuel qui caractérise la puberté et, lors de la phase génitale lorsque qu'advient la synthèse des pulsions partielles, toutes les tendances convergent vers un seul objet et cherchent dans celle-ci la satisfaction. Dès lors, la soumission au primat de la zone génitale donne la forme définitive de la vie sexuelle.

Deuxièmement, qu'un état de maladie exerce une puissance influence sur la libido. Ainsi donc, "la violence mécanique du trauma libèrerait le quantum d'excitation sexuelle qui a un effet traumatique en raison du manque d'apprêtement par l'angoisse, la lésion corporelle simultanée, quant à elle, lierait l'excédent d'excitation en recourant à un surinvestissement narcissique de l'organe souffrant." (p.305)

 

Le processus primaire concerne les motions pulsionnelles libres quand le processus secondaire concerne les investissements liés (ou toniques). "La tâche des strates supérieures du psychisme est de  lier l'excitation des pulsions qui arrivent dans le processus primaire. Et, c'est seulement une fois cette liaison effectuée que la domination du principe de plaisir (et sa modification en principe de réalité) pourra s'imposer sans être inhibé." (p.306)

Les trente dernières pages de l'étude sont la démonstration de l'hypothèse freudienne selon laquelle "toutes les pulsions veulent réinstaurer de l'antérieur." (p.309) Son point de vue de perfectionnera dans l'étude des pulsions de vie et des pulsions de mort, s'appuyant sur des disciplines connexes telles que les neurosciences, la neuro-physiologie embryonnaire, l’éthologie ou encore la science du vivant et la science de l'évolution. Freud confirmera sa pensée initiale en prétendant que "toutes les pulsions organiques sont conservatrices, acquises historiquement et orientées vers la régression, la réinstauration de l'antérieur." Il admettra que " nous devons mettre les succès de l'évolution organique au compte d'influences externes." (p.309)


Cette théorisation première attribue, dès 1925 aux "pulsions du moi" une désignation provisoire qui se rattache à la première nomenclature de la psychanalyse. Cette conception qui "opposait pulsions du moi = pulsions de mort et pulsions sexuelles = pulsions de vie" (p.326) trop dualiste selon Freud, doit maintenant intégrer une seconde polarité que constitue "la haine (agression) et l'amour (tendresse) de l'objet. Car, en effet, " nous avons de tout temps reconnu une composante sadique de la pulsion sexuelle (...) qui se détache de la pulsion partielle dominante lors de l'organisation prégénitale. Mais, il y a lieu de faire l'hypothèse que ce sadisme est à proprement parler une pulsion de mort qui a été repoussée du moi par l'influence de la libido narcissique de sorte qu'elle ne vient à apparaître qu'au niveau de l'objet (emprise amoureuse). Et "là où le sadisme originel ne connaît ni modération ni fusion, s'instaure l'ambivalence amour-haine de la vie amoureuse. " (p.328) Le masochisme lui est à considérer comme "pulsion partielle complémentaire du sadisme, en tant que retournement en arrière du sadisme sur le moi propre: une régression" (p.328)

Le besoin non encore atteint "d'une clarification dans la doctrine des pulsions" (p.329) conduit Freud à "engager de nouvelles études visant (...) à différencier les processus énergétiquement liés et non-liés au moyen de la sensation de tension" car il constate que "le principe de plaisir semble être tout simplement au service des pulsions de mort." (p.337)

1 P. Ricoeur, « Soi-même comme un autre »,Paris Seuil 1990, Points Essais. P148

2 J. Derrida (1967). La Voix et le phénomène. Paris : Presses Universitaires de France.

3 S. Freud, Die Traumdeutung (1899-1900), trad. : L'interprétation du rêve, Édition du Seuil, 2010. p 584.


L’inquiétant


Dans ce travail d’une trentaine de pages, Freud tente d’élucider un sentiment commun a tout les hommes, l’inquiétant. Riche d’exemples extraits de la littérature, d’expériences vécues ainsi que de l’analyse de cas de névrose de contrainte et d’un « délire d’attention, » (p.169) Freud dégage dans l’origine même du terme unheimlich ; le familier le commun, l’intime, ce qui touche au foyer, ce qui est connu. «Dans l’évolution de la langue ce mot rassemble tout ce qui dans les personnes et les choses, dans les  impressions sensorielles, les expériences vécues et les situations éveillent nous le sentiment de l’inquiétant. » (p.156)

Après une longue exploration de la langue, Freud dira que ce qui ressort de plus intéressant c’est que parmi les multiples nuances de sa signification ce mot en présente également une qui coïncide avec son opposé ; « ce qui est heimlich devient alors unheimlich » (p.157) Ce mot n’est pas univoque mais il ressort à deux sphères de représentation qui sans être opposées n’en sont pas moins franchement étrangères : « celle du familier, du confortable et celle du dissimulé, du tenu caché. » (p.157) Il fera même l’hypothèse d’une relation génétique entre ces deux significations. Serait familier tout ce qui devait rester un secret, rester dans le monde du caché et qui est venu au jour. Voici la définition même du monstrueux ce qui se montre dont on voit un lien avec l’origine latine de monstrare ; monstrueux. Familier et donc un mot qui développe sa signification en direction d’une ambivalence jusqu’à finir par coïncider avec son opposé le non-familier, le monstrueux.

 

Dans sa recherche d’illustrations, Freud dira que « si nous voulons maintenant passer en revue les personnes et les choses, les impressions, événements et situations susceptibles d’éveiller en nous avec une force et une netteté particulière le sentiment de l’inquiétant, le choix d’un exemple initial heureux est manifestement l’exigence première. L’impression produite par des figures de cire, des poupées et des automates plein d’artifices révélera pour lui la question du vivant doté ou non d’une âme. De la même manière il mettra dans cette même série d’inquiétant l’accès épileptique et les manifestations de la folie parce que ceci éveille chez le spectateur le pressentiment de procès automatiques - mécaniques - qui pourrait bien se cacher derrière l’image qu’on se fait habituellement de l’action d’une âme.

La question de savoir si l’être est habité ou non, relèverait alors du monstrueux. Dans l’exemple de l’Homme au sable écrit par Jentsch, on trouve encore le motif de la poupée apparemment douée de vie. « D’après cet auteur une condition particulièrement propice à la production de sentiments inquiétants est que soit éveillé une incertitude intellectuelle quant à savoir si quelque chose est doué de vie sans vie et que ce qui est sans vie pousse trop loin sa ressemblance avec le vivant.» Prenant l’exemple de l’enfant qui joue avec ses poupées en leur conférant une vie autonome, Freud fait de la source du sentiment inquiétant non pas ici « une angoisse d’enfant mais un souhait d’enfants ou même seulement une croyance d’enfants. » (p.167)

Continuant son étude des œuvres littéraires et citant Hoffmann comme « le maître inégalé de l’inquiétant dans la création littéraire, » (p.167) Freud dira que le contenu du roman est si riche d'éléments inquiétants qu’il en dégagera parmi certains motifs aux effets inquiétants les plus saillants pour examiner ici si « une dérivation à partir de sources enfantines serait permise. » (p.167) Dans le phénomène du double par exemple, il est question de « télépathie, de sorte que l’une possédant en commun avec l’autre ce qui est su, senti et vécu. L’identification à une autre personne, de sorte qu’on est désorienté quant à son moi ou que le moi étranger soit à la place du moi propre. Il y aurait donc dédoublement, division du moi. Le motif du double a fait l'objet d’une étude approfondie dans le travail d’O. Rank où y sont examinées les relations du double à l’image en miroir et, à l’image en ombre portée à l’esprit tutélaire, la doctrine de la famille et la crainte de la mort. « Le double était à l’origine une assurance contre la disparition du moi, un démenti énergétique de la puissance de la mort. » (p.168) Freud rappelle que la création d’un tel dédoublement comme défense contre l’anéantissement à son pendant dans une présentation figurée du langage du rêve qui aime à exprimer « la castration par dédoublement de multiplication du symbole génital. Mais ces représentations (ancienne Égypte) sont menées sur le terrain de l’amour de soi illimité, celui du narcissisme primaire lequel domine la vie d’âme de l’enfant comme celles du primitif et, avec le surmontement de cette phase, l’indice affectant le double se modifie : d’assurance de survie qu’il était, il devient l’annonciateur inquiétant de la mort.» (p.168)

De cette question du double, Freud dira que dans les stades de développement ultérieurs du moi, ce double viendra acquérir « un nouveau contenu. » (p.168) Il mettra celui-ci en lien avec l’auto observation, l’autocritique de ce double qui accomplira le travail de la censure psychique et deviendra « la conscience morale. » (p.169) L’exemple du cas pathologique du délire d’attention mettra en lumière le mécanisme de clivage.


Le fait qu’il existe cette nouvelle instance jugeante qui traite le reste du moi comme un objet. «L’autocritique relevant alors de l’ancien narcissisme des temps originaires qui a été surmonté.» (p.169) Pour autant, rien de ce qui se rapporte au double mouvement rend compréhensible le degré extraordinairement élevé d’inquiétude qui s’y rattache. Rien dans ce contenu ne saurait expliquer les efforts défensifs qui le projette au dehors du moi comme quelque chose d’étranger. Freud dira que «parmi ce qui est rejeté par la part critique du moi se trouve en premier lieu les rejetons du refoulé. » (p.171) Il donnera l’exemple du rival ; l’homme choisissant de ne pas tuer croisera son ombre meurtrière. Le double devenu une image d’effroi tout comme les dieux. Il s’agit d’un retour à une phase de l’histoire du développement du sentiment du moi, une régression à des époques où il ne s’était pas encore rigoureusement délimité par rapport au monde extérieur et à l’autre. Ces motifs semblent responsables de l’impression que la répétition de ce qui est de même nature ne sera peut-être pas reconnue par tout un chacun comme source du sentiment inquiétant. Pensons l'exemple d'un réveil nocturne où, ne trouvant plus l'interrupteur de la lumière, un homme le cherche à l'aveugle sans trouver ses repères spatiaux. Cette répétition non intentionnelle peut rendre la situation pourtant connue au demeurant, largement inquiétante.


Cette répétition nous impose l’idée d’un néfaste, de l’inéluctable. Certains parleront du hasard et verrons dans la récurrence de certains signes une signification secrète. « Dans l’inconscient en effet, on peut reconnaître la domination d’une contrainte de répétition émanant de motions pulsionnelles assez fortes pour se placer au-dessus du principe de plaisir afin que ce qui soit éprouvé comme inquiétant ce qui fait penser à cette contrainte de répétition interne.

Dans la névrose de contrainte, Freud parlera de l'exemple d'une expérience vécue inquiétante quand son patient, venant de penser à la mort d’un voisin de chambre, appris que celui-ci, mort la veille, venez confirmer son pressentiment. De la même manière que ce pressentiment est agissant dans le délire, dans la tradition populaire, le mauvais œil fait référence « à celui qui possède quelque chose de précieux et pourtant fragile et qui a peur de l’envie des autres en projetant sur eux cette envie qu’il aurait éprouvé dans le cas inverse. On redoute donc une intention secrète de nuire, on suppose que cette intention a aussi la force à sa disposition. » (p.174) D’où peut être l’expression : quand on veux, on peux ! Ces croyances populaires dans les sorts, les mauvais esprits et le mauvais œil seraient donc à rechercher dans d'anciennes croyances animistes. Pour Freud, « si la théorie psychanalytique a raison d’affirmer que tout affect d’une motion de sentiments est transformé en angoisse par le refoulement, il faut qu’il y est parmi les cas d’angoissant, un groupe où l’on puisse montrer qu’il est en réalité quelque chose de refoulé qui fait retour. » (p.175)