Œuvres complètes
- psychanalyse - vol. XIX 1931-1936
Nouvelle suite des leçons et autres textes
Œuvres complètes - psychanalyse -
vol. XIX : 1931-1936
Conscience morale et cruauté
Nouvelle suite des leçons et autres textes
La décomposition de la personnalité psychique
Freud souhaite prendre le moi pour objet de son investigation, le moi comme ce qui est le plus proprement sujet. Il s’intéresse à la manière dont-t-il deviendrait objet à son tour car pour Freud, il n’y a aucun doute qu’il le puisse. Le moi peut se prendre lui-même pour objet, se traiter comme d’autres objets, s’observer, se critiquer, etc. Alors une partie du moi se pose face au reste du moi ce qui en fait une entité clivable au cours d’un bon nombre de ses fonctions, au moins provisoirement, et ses fragments peuvent se réunir de nouveau par la suite. La pathologie attire notre attention sur des états de choses normaux qui autrement nous aurait échappé. Là où elle nous montre une brisure ou une fissure, il peut y avoir, normalement, une articulation. Freud nous dit : Si nous jetons un cristal par terre, il se brise, mais pas arbitrairement, il se casse suivant ses plans de clivage en des morceaux dont la délimitation, bien qu’invisible, était cependant déterminée à l’avance par la structure du cristal. « De telles structures fissurées et éclatées, c’est aussi ce que sont les malades mentaux.» (p.140)
Ce clivage du moi, Freud le désigne désormais comme l’instance du surmoi. Cette instance jouit d’une certaine autonomie, elle poursuit ses propres visées indépendamment du moi quant à son fonds d’énergie. Et voilà qu’un tableau de maladie s’impose à nous, éclairant de manière frappante la sévérité, voir la cruauté de cette instance et les transformations dans sa relation au moi. Freud part du principe que nous savons encore trop de choses sur la causation et le mécanisme de cette instance qu’il nomme aussi la conscience morale et la manière dont il traite le moi. Dans l’accès mélancolique par exemple, le surmoi devient excessivement sévère, injuriant, rabaissant, maltraitant le pauvre de moi, lui laissant attendre les plus durs punition et lui faisant des reproches pour des actions depuis longtemps passées qui, en leur temps, avait été prise à la légère, comme si, durant tout l’intervalle, il avait rassemblé des accusations et n’avait fait qu’attendre son présent renforcement pour surgir avec elle et pour condamner sur la base de ces accusations.
Le surmoi reprend alors la puissance, l'activité et même les méthodes de l'instance parentale de laquelle il n'est pas seulement le successeur légal mais effectivement l’héritier naturel et légitime. Le surmoi semble n'avoir capté que la dureté et la sévérité des parents, leur fonction interdictrice alors que leur sollicitude pleine d’amour ne trouve ni accueil ni prolongement.
Le fondement de ce processus est ce qu'on appelle une identification, c'est-à-dire l'assimilation d'un moi à un moi étranger par suite de laquelle ce premier moi se conduit à certains égards comme l’autre, l’imitant, en quelque sorte l’accueillant en soi. Identification est une forme très importante de liaison à l’autre personne, vraisemblablement la plus originale, elle n’est pas la même chose qu’un choix d’objet.
On peut exprimer la différence un peu près ainsi, si le garçon s’identifie avec son père, il veut être comme le père ; si il en fait l’objet de son choix, il veut l’avoir, le posséder. Dans le premier cas, son moi est modifié d’après le modèle du père, dans le second cas cela n’est pas nécessaire. Identification et choix d’objet sont, dans une large mesure, indépendants l’un de l’autre. Mais on peut aussi s’identifier avec la personne qu’on a prise par exemple pour objet sexuel et modifier son moi d’après elle. On dit que l’influencement du moi par l’objet sexuel se produit avec une fréquence particulière chez les femmes et qu’il est caractéristique de la féminité. Quand on a perdu un objet ou qu'on a dû l’abandonner, on se dédommage bien souvent en s’identifiant avec lui, en l’érigeant de nouveau dans son moi, de sorte qu’ici le choix d’objet régresse en quelque sorte à l’identification.
Nous comprenons qu’avec la vacance du complexe d’œdipe, l’enfant a dû renoncer aux investissements d’objet intenses qu’il avait placé chez ses parents, et c’est en dédommageant de cette perte d’objet que les identifications avec les parents, vraisemblablement présentes depuis longtemps, sont tellement renforcées dans son moi. De telles d’identifications en tant que précipités d’investissements d’objet abandonnés, se répéterons plus tard bien souvent dans la vie de l’enfant, mais il est tout à fait conforme à la valeur sentimentale de ce premier cas où se produit une telle transposition, qu’au résultat de celle-ci soit accordée une place particulière dans le moi.
Le surmoi est aussi le porteur de l’idéal du moi, auquel le moi se mesure, auquel il aspire, dont il s’efforce d’accomplir la revendication d’un perfectionnement toujours plus avancé. Aucun doute, cet idéal du moi est le précipité de l'ancienne représentation des parents, l'expression de l'admiration pour la perfection que l'enfant leur attribuait alors. Le sentiment d’infériorité a de fortes racines érotiques. La part principale de ce sentiment provient de la relation du moi à son surmoi, étant, tout comme le sentiment de culpabilité, une expression de la tension entre les deux. Sentiment d’infériorité et sentiment de culpabilité sont du reste difficile à discriminer. Peut-être ferait-on bien de voir dans le premier le complément érotique du sentiment d’infériorité moral.
Dans le travail analytique la résistance ne peut être qu’une manifestation du moi qui, en son temps, à effectué le refoulement et veux à présent le maintenir. Si maintenant se présente le cas où la résistance dans l'analyse ne devient pas consciente aux patients, cela veut dire soit que le surmoi et le moi peuvent travailler inconsciemment, soit ce qui serait encore plus significatif, que des parts des deux, moi et surmoi pris en eux-mêmes, sont inconscientes. À la question le moi et le surmoi peuvent-ils être eux-mêmes inconscients ou bien peuvent-ils uniquement déployer des effets inconscients ? Nous sommes décidés à prétendre que de grandes parts du moi et du surmoi peuvent rester inconscientes. C’est-à-dire que la personne ne sait rien de leur contenu et qu’il est besoin de dépenser des efforts pour les lui rendre conscient. Nous voyons ici que nous n’avons aucun droit de nommer le domaine étranger au moi : le système inconscient, puisque "l’inconsciencialité" n’est pas son caractère exclusif. Nous n’utiliserons plus désormais le terme inconscient mais l’appellerons donc le ça. Ce pronom impersonnel paraît particulièrement propre à exprimer le caractère principal de cette province de l’âme, son étrangeté au moi.
Le ça c’est la partie obscure, inaccessible, de notre personnalité. Nous l’avons appris par l’étude du travail de rêve et de la formation de symptômes névrotiques et l’essentiel de cela possède un caractère négatif car ne se laissant d’écrire que comme opposé au moi. Nous nous approchons du ça au moyen de la comparaison ; nous l’appelons un chaos. Nous nous représentons qu’il est ouvert à son extrémité sur le somatique, accueillant là en soi les besoins pulsionnels qui trouve en lui leur expression psychique, mais nous ne pouvons pas dire dans quel substrat. À partir des pulsions, il se remplit d’énergie, mais il n’a aucune organisation, ne produit aucune volonté d’ensemble, si ce n’est la tendance a procurer satisfaction aux besoins pulsionnels dans l’observance du principe de plaisir. Pour les processus dans le ça, les lois de la pensée logique ne sont pas valables, surtout pas le principe de contradiction.
Mandaté par le ça, le moi domine les accès à la motilité, mais il a intercalé entre le besoin et l’action le travail de penser. Cet ajournement pendant lequel ils exploitent les restes mnésiques de l’expérience. De cette manière il a détrôné le principe de plaisir qui domine sans restriction le cours des processus dans le ça et l’a remplacé par le principe de réalité qui promet plus de sécurité et un plus grand succès. Le moi représente alors dans la vie d’âme raison et circonspection, le ça quant à lui, les passions indomptées. Moi après tout qu’un morceau du ça, un morceau modifier de façon appropriée par la proximité du monde extérieur avec sa menace de danger. Du point de vue dynamique il est faible ; ses énergies il les a emprunté au ça et nous ne sommes pas tout à fait sans avoir une idée des méthodes, manœuvres par lesquelles il soustrait au ça de nouveaux montants d’énergie. Ainsi par exemple une de ces voies est l’identification avec des objets conservés ou abandonnés.
Les investissements d’objet proviennent des revendications pulsionnelles du ça. Le moi a d’abord à les enregistrer. Mais en s’identifiant avec l’objet il se recommande au ça à la place de l’objet, il veut orienter sur lui-même la libido du ça. Le moi s’est séparé d’une partie du ça par des résistances de refoulement. Mais le refoulement ne se produit pas dans le ça car le refoulé confluent avec le reste du ça. Dans ses efforts de médiation entre le ça et la réalité le moi est souvent forcé de revêtir les commandements inconscients du ça de ses rationalisations préconscientes, de camoufler les conflits du ça avec la réalité, de faire accroire avec une insincérité diplomatique qu’il prend en considération la réalité même si le ça lui est resté rigide et inflexible. Lorsque le moi est obligé d’avouer sa faiblesse il éclate en angoisse, angoisse de réel devant le monde extérieur, angoisse de conscience morale devant le surmoi, angoisse névrotique devant la force des passions dans le ça.