Œuvres complètes 

- psychanalyse - vol. XX  1937-1939

L'homme Moïse. Abrégé de psychanalyse. Autres textes

Œuvres complètes - psychanalyse - 

vol. XX : 1937-1939

Effort thérapeutique

L'homme Moïse. Abrégé de psychanalyse. Autres textes

L’analyse finie et l’analyse infinie

Freud explique qu'à un refoulement originaire viennent se greffer des refoulements secondaires. Le premier agissant comme un noyau pulsionnel attirant à lui les traumas vécus secondairement. Il interroge l'ambition thérapeutique de la levée du refoulement par association libre dont le but tend vers l'expression des motions pulsionnelles ordinairement refoulées. Il pose deux questions : peut-on protéger le patient contre des conflits pulsionnels à venir ? Est-il réalisable d'éveiller un conflit présentement non manifeste ? Selon Freud, l'expérience analytique oppose à ces questions un refus net car quand un conflit ne s'extériorise pas, on ne peut et ne doit l'influencer dans l'analyse. Cependant pour rendre actuel un conflit latent, il peut s'agir soit d’amener des situations où le conflit vient à s’actualiser - dans la réalité ou dans le transfert - soit d’en évoquer la possibilité dans l'analyse.

Rivaliser avec le destin en entreprenant des expériences de ce type revêt d'une part une forme de cruauté et, d'autre part, altère le travail analytique. En effet, inopérant en temps de crise, celui-ci conserve bien tout son efficace quand et seulement quand le moi a pu  acquérir de la distance face aux expériences vécues pathogènes. Créer un conflit ne ferai donc que prolonger et rende plus difficile le travail analytique. Au sujet du troisième facteur influençant l'effort thérapeutique et ses influences sur l'étiologie traumatique, Freud invoque la question complexe de la modification du moi.

La situation analytique consiste à aller au moi de la personne-objet pour soumettre les parts non dominées de son ça afin de les intégrer dans la synthèse du moi. Freud relève l'échec de cette méthode chez le psychotique pour qui (..) (p.37) : le moi apprend à se mettre en position défensive contre son propre ça et à en traiter les revendications pulsionnelles comme des dangers externes. Cela se produit, au moins en partie, parce qu'il comprend que la satisfaction pulsionnelle conduirait à des conflits avec le monde extérieur. Le moi s'habitue alors (...) à reporter le théâtre du combat de l'extérieur vers l'intérieur, à maîtrise le danger interne avant qu'il ne soit devenu externe.

Sur le mécanisme de défense qu'est le refoulement

Dans le sens d'un gain de plaisir l'appareil psychique viendra à sacrifier la "vérité " pour s'épargner du déplaisir. L’intérêt pour les mécanismes de défense ne concerne pas seulement leur rôle pathogène mais plutôt la modification du moi qui leur correspond et qui influence notre effort thérapeutique.


Le moi renforcé de l'adulte continu de se défendre contre des dangers qui n'existent plus dans la réalité, il se trouve même poussé à aller rechercher ces situations de la réalité qui peuvent plus ou moins remplacer le danger d'origine afin de pouvoir justifier à leur contact qu'il reste attaché aux modes de réaction habituels.Ces modes de réactions agissant pendant le travail analytique déterminent une des moitiés de notre tâche. L'autre étant la mise à découvert de ce qui est caché dans le ça. Pendant le traitement notre effort thérapeutique oscille constamment d'un petit morceau d'analyse du ça à un petit morceau d'analyse du moi. Ce qui et décisif ici c'est que les mécanismes de défense contre les dangers d'autrefois fassent retour dans la cure en tant que résistances contre la guérison. Aboutissant par la même à ce que la guérison elle-même soit traitée par le moi comme un nouveau danger. L'effet thérapeutique qui est alors l'action de rendre-conscient  ce  qui  est  dans  le  ça,  au  sens  le  plus  large,  refoulé (interprétations, constructions) ; par des interprétations et des constructions. Freud précise ici que nous n’avons interprété que pour nous, pas pour l’analysé, tant que le moi reste lui attaché aux défenses antérieures et n’abandonne pas les résistances.

Pendant le travail sur les résistances, le moi se dégage du contrat sur lequel repose la situation analytique. Le moi ne soutient plus notre effort pour mettre à découvert le ça, il s'y oppose, ne respecte pas la règle fondamentale de l'analyse et ne laisse pas émerger d'autres rejetons du refoulé. Freud précise même que sous l’influence de motions de déplaisir, ressenties du fait du déroulement renouvelé des conflits défensifs, des transferts négatifs peuvent dès lors prendre la main et supprimer totalement  la situation analytique. L’analyste devient alors pour le patient en être étranger, qui le place devant des demandes abusives et désagréables, il en vient à se comporter à son endroit tout à fait comme l’enfant qui n’aime pas l’étranger et ne le croit en rien.


Si par sortie de cure nous entendons qu’une modification du moi se joue par rapport à un moi normal fictif vouant un attachement inébranlable à ses défenses, on croira sans peine que tout dépend essentiellement de la force et de la profondeur d’enracinement de ses résistances propres à la modification du moi.


Dans l’analyse, nous sommes sans doute préparé à une certaine dose d’inertie psychique : lorsque le travail analytique a ouvert de nouvelles voies à la motion pulsionnelle, nous observons presque régulièrement qu’elles ne sont pas suivies sans un net retardement. Nous avons qualifié ce comportement, de « résistance du ça ».  Peut-on rapprocher ici ce que Fernando de Amorim nomme la « résistance du surmoi » à cette « résistance du ça » en tant que source de la résistance à la cure analytique, en tant qu’obstacles au succès thérapeutique ? Freud précise qu’il n’est pas d’impression émanant des résistances lors du travail analytique qui soit plus puissante que celle donnée par une force qui se défend par tous les moyens contre la guérison et veut absolument rester attachée à la maladie et à la souffrance. Il précise que nous avons identifié cette force comme conscience de culpabilité et besoin de punition que nous avons localisé dans le rapport du moi au surmoi. Mais il ne s’agit que de cette part qui est en quelque sorte psychiquement liée par le surmoi et devient de cette façon connaissable ; d’autres montants de cette même force doivent être à l’œuvre, on ne sait trop où, sous une forme ou libre.

Rappelant la conférence prononcée par S.Ferenczi en 1927 « le problème de la terminaison des analyses », Freud dira que ce n’est pas seulement la complexion du moi du patient qui entrent en jeu dans le raccourcissement ou l’approfondissement de l’analyse mais que c’est aussi la particularité de l’analyste qui revendique sa place parmi les facteurs qui influencent les perspectives de la cure analytique et rendre celle-ci est difficile à la façon des résistances. S. Ferenczi ajoute cette précieuse remarque : il est tout à fait décisif, pour le succès, que l’analyste ait suffisamment appris de ses propres « errements et erreurs » et qu’il se soit rendu maître des points faibles de sa propre personnalité. Freud rejette les critiques des adversaires de l’analyse qui relèvent cet état de fait de la difficulté d’être analyste en prétendant que ceux-ci sont des personnes qui ont appris à exercer un art défini et qui ont par ailleurs le droit d’être des hommes tout comme d’autres.

Freud interroge où et comment le futur analyste doit-il acquérir cette aptitude idéale dont il aura besoin dans son métier ? La réponse sera dans l’analyse personnelle, par laquelle commence la préparation à sa future activité. Sa tâche est accomplie si elle apporte à l’apprenti la ferme conviction de l’existence de l’inconscient, si elle lui procure lors de l’émergence du refoulé les perceptions de soi sans cela non crédibles et si, sur un première échantillon, elle lui indique la technique qui est la seule à avoir fait ses preuves dans l’activité analytique. Cela seul ne suffirait pas à son instruction, mais on escompte que les incitations contenues dans l’analyse personnelle ne prendront pas fin avec l’arrêt de celle-ci, que les procès de remaniement du moi se poursuivront spontanément chez l’analysé et qu’ils utiliseront toutes les expériences à venir dans le sens nouvellement acquis. C’est en effet ce qui se produit, et dans la mesure où cela se produit, cela rend l’analysé apte à être analyste.

L'auteur parle des « dangers de l’analyse » qui a vrai dire ne menace pas le partenaire passif mais le partenaire actif de la situation analytique, il précise qu’il faut y faire face et préconise à chaque analyste de se constituer périodiquement -par exemple tous les cinq ans- nouvel objet de l’analyse. Cela signifierait donc que l’analyse personnelle, elle aussi, et pas seulement l’analyse thérapeutique pratiquée sur le malade, deviendrait de tache finie, une tâche infinie. L’analyse doit instaurer les conditions psychologiques les plus favorables aux fonctions du moi ; cela fait, ça tache serait menée à bien.


Constructions dans l’analyse

 

Freud répond aux adversaires de la psychanalyse qui disent que nous proposons nos interprétations un patient en agissant envers lui selon le principe de « face je gagne, pile tu perds », c’est-à-dire : si il est d’accord avec nous tout va bien, mais s’il ne contredit ce n’est là qu’un signe de sa résistance, qui nous donne encore raison. Ce cette façon nous avons toujours raison contre cette pauvre personne en désaide que nous analysons, quelque soit son comportement face à nos allégations. Puisqu’il est exact qu’un « non » de notre patient ne nous détermine pas, en général, à abandonner notre interprétation comme étant inexacte, une telle façon de démasquer ainsi notre technique a été très bien accueillie par les adversaires de l’analyse. Pour cette raison il vaut la peine de présenter en détail comment, pendant le traitement analytique, nous évaluons habituellement le « oui » et le « non » du patient, expression de son assentiment et de sa contradiction.

 
L’intention du travail analytique et d’amener le patient à supprimer des refoulements issus de son tout premier développement pour les remplacer par des réactions qui correspondraient à un état de maturité psychique. À cette fin il doit se souvenir de certaines expériences vécues et des motions d’affect suscitées par elles, les unes et les autres se trouvant à présent oublié chez lui. Nous savons que les symptômes et les inhibitions présents sont la conséquence de tels refoulements, donc le substitut de ce qui a été là oublié. Pour Freud le travail analytique consiste en deux parties entièrement distinctes, qu’il s’effectue sur deux scènes séparées et concerne deux personnes dont chacune est chargé d’une tâche différente. Nous savons tous que l’analysé doit être amené à se remémorer quelque chose qu’il a vécu et refoulé, et les conditions dynamiques de ce processus sont si intéressantes qu’en revanche l’autre  partie du travail, ce que fait l’analyste, passe à l’arrière plan. De tout ce dont il s’agit, l’analyste n’as rien vécu et n’a rien refoulé. Sa tâche ne peut pas être de se remémorer quelque chose. Quelle est donc sa tâche ? Il a à deviner l’oublié à partir des indices que celui-ci a laissé derrière lui ou, pour s’exprimer plus exactement, à le construire. Comment, quand, et assorties de quels commentaires, il communique ses constructions à l’analysé, c’est là ce qui constitue la liaison entre les deux parties du travail analytique, celle de l’analyste est celle de l’analysé.

L’analyste mène à bien un fragment de construction et le communique à l’analysé pour que cela agisse sur lui ; à l’aide du nouveau matériel qui afflue, il construit un autre fragment, qu’il utilise de la même façon, et ainsi de suite jusqu’à la fin. La raison pour laquelle on entend si peut parler de construction dans les présentations de la technique analytique c’est qu’au lieu de cela on parle « d’interprétations » et de leurs effets. Mais à mon avis le terme de construction et de beaucoup le plus approprié. Interprétation se rapporte à la façon dont on s’occupe d’un élément isolé du matériel, d’une idée incidente, d’une opération manqué, etc. mais il y a construction quand on expose à l’analysé un fragment de sa préhistoire oubliée.


Il est exact que nous ne tenons pas un « non » de l’analysé pour entièrement valable, mais nous admettons pas davantage son « oui »; il est tout à fait injustifié de nous accuser de réinterpréter sa déclaration dans tous les cas en une confirmation.  Le « oui » direct de l’analysé est multivoque. Il peut effectivement indiquer que celui-ci reconnaît comme exact la construction qu’il vient d'entendre mais il peut aussi être dépourvu de signification ou même être « hypocrite » ; sa résistance trouvant son compte à ce qu’un tel assentiment continue à cacher la vérité qui n’a pas été mise à découvert. Ce «oui » n’a de valeur que si il est suivi de confirmations indirectes, si, immédiatement après son « oui », le patient produit de nouveaux souvenirs qui complètent et élargissent la construction. Dans ce cas seulement nous reconnaissons le « oui » comme étant la pleine liquidation du point en question. 

Le « non » de l’analysé est tout aussi multivoque et à vrai dire encore moins utilisable que son « oui ». Dans de rares cas il s’avère être l’expression d’une récusation justifiée ; bien plus souvent, il est la manifestation d’une résistance qui est provoquée par le contenu de la construction communiquée, mais qui peut tout aussi bien provenir d’un autre facteur de la situation complexe de l’analyse. Le « non » du patient ne prouve donc rien quant à l’exactitude de la construction mais il se concilie très bien avec cette possibilité. Puisque toute  construction  de  ce  genre  est  incomplète, n’appréhendant  qu’une  parcelle  des événements oubliés, nous sommes libres de supposer que l’analysé ne nie pas à proprement parler ce qu’il lui a été communiqué, mais qu'il maintient sa contradiction en fonction de la partie qui n'a pas encore été mise à découvert. En règle générale il n’exprimera son assentiment qu’après avoir appris la vérité entière, laquelle embrasse souvent un bien vaste champ.  La  seule  interprétation  sûre  de  son « non »  est  donc  celle  qui  renvoie  à l’incomplétude ; la construction ne lui a certainement pas tout dit. Seule la poursuite de l'analyse peux amener la décision quant à l'exactitude où à l’inutilité de notre construction. Nous ne tenons la construction isolée pour rien d’autre qu’une supposition qui attend examen, confirmation au rejet. Nous ne revendiquons pas d'autorité pour cette construction, nous ne demandons au patient aucun assentiment immédiat ni ne discutons avec lui s’il commerce par y contredire. 

La voie qui part de la construction de l'analyste devrait se terminer dans le souvenir chez l'analysé ; elle ne va pas toujours aussi loin. Bien souvent on ne réussit pas à amener le patient au souvenir du refoulé. En revanche, en construisant correctement l’analyse on obtient chez lui une conviction assurée de la vérité de la construction, ce qui du point de vue thérapeutique a le même effet qu’un souvenir recouvré. Dans quelles circonstances cela a lieu et de quelle façon il est possible qu’un substitut apparemment imparfait produise quand même un plein effet, cela reste une matière pour une recherche ultérieure.