S. FREUD
Œuvres complètes
- psychanalyse - vol. II : 1893-1895
Études sur l'hystérie et textes annexes
Œuvres complètes - psychanalyse -
vol. II : 1893-1895
Études sur l'hystérie
et textes annexes
Introduction
À la fin du XIX e, la délimitation de la maladie hystérique suit les avatars de l'histoire de la médecine depuis Hippocrate. La pensée médicale et la méthode anatomo-clinique cherchera à solutionner le problème que pose l'hystérie dans deux directions opposées; soit sans lésion organique manifeste, les symptômes hystériques seront rapporté à la suggestion voire à la simulation, soit il sera donné à l'hystérie la dignité d'une maladie comme les autres aussi définie et précise dans ses symptômes qu'une affection neurologique. C'est sous l'influence de Charcot qu'une voie est ouverte à Breuer et Freud pour dépasser une telle opposition. La mise à jour de l'étiologie psychique de l'hystérie ira de pair avec les découvertes principales de la psychanalyse -inconscient, fantasme, conflit défensif et refoulement, identification, transfert, etc.- Comme la préface à l’œuvre étudiée ici le précise, «c'est ce travail qui ouvrit la voie à la psychanalyse proprement dite, dont la méthode cathartique constitue pour ainsi dire l'échelon initial. » M. Bonaparte.
Vers le milieu de l'année 1880, J. Breuer est appelé à soigner une jeune fille de 21 ans qui présente des symptômes graves en apparence mais qui, en l'absence de toute cause neurologique visible, semble devoir être rattachée à une maladie connue depuis longtemps mais redevenue fort à la mode dans ces dernières décades du XIX e siècle, l'hystérie.
Certains processus qu'il a décelé au cours du traitement l'ont suffisamment frappé pour qu'en novembre 1882 il échange à ce sujet avec S. Freud. Entre 1881 et 1889, les principales publications de Freud sont encore d'ordre neurologique. Il appliquera lui-même, à partir de mai 1889 la méthode cathartique utilisée par Breuer en 1881, à une patiente qu'il appellera plus tard Emmy v. N. Ainsi les deux amis vont-ils publier le 15 janvier 1893, dans la revue Neurologisches Zentralblatt, un article intitulé « Le mécanisme psychique de phénomènes hystériques .» Deux ans et demi plus tard (mi-mai 1895) apparaît le gros ouvrage intitulé Études sur l'hystérie, dont le premier chapitre (« Communication préliminaire ») n'est autre que l'article de 1893 et dont la première des cinq « Histoires de malades » (chap. II) est le récit, écrit de la main de Breuer, de la maladie et du traitement de cette jeune hystérique qu'il croyait avoir, douze ou treize ans auparavant, délivré de certains de ces symptômes par remémoration sous hypnose d'évènements traumatiques oubliés.
Du mécanisme psychique de phénomènes hystériques.
La cause de l'apparition de symptômes somatiques chez le patient hystérique est à l'évidence à rechercher dans la survenue d'un incident au cours de l'histoire de vie du sujet. Des névralgies, des anesthésies avec états crépusculaires plus ou moins transitoires et leurs amnésie partielle ou totale relèvent, d'un point de vue théorique, d'une corrélation évidente entre un traumatisme et l'expression de ces symptômes lors de crises « on peut déduire des propos des malades que dans chaque accès ils hallucinent toujours le même épisode- celui qui a causé la première attaque- .» Ces symptômes hystériques typiques peuvent, dans d'autres cas, n'être pas directement accessible à la conscience; c'est le cas de l'hémianesthésie, du rétrécissement du champ visuel ou des convulsions épileptiformes par exemple.
Pour autant, cette corrélation causale n'est pas d'une nature telle que le trauma en tant qu'agent provocateur déclencherai le symptôme. Nous affirmerons plutôt que c'est le souvenir de celui-ci qui agit comme un corps étranger en conservant sa valeur affective tout au long de la vie. « Nous découvrîmes (..) que chacun des symptômes hystériques disparaissait aussitôt et sans retour quand on avait réussi à amener en pleine lumière le souvenir de l'incident déclenchant, à éveiller l'affect lié à ce dernier et quand ensuite, le malade décrivait ce qui lui était arrivé de façon fort détaillée, et en donnant à son émotion une expression verbale. »
« C'est de réminiscence surtout que souffre l'hystérique. »
Il est possible de voir que la théorie du symptôme hystérique comme réminiscence illustre à merveille la distinction qu'impose toute théorie de la mémoire entre souvenir, réminiscence et remémoration. Appelons « souvenir » le fait que, d'un évènement passé, soit conservé dans le psychisme une trace. «Remémoration», le phénomène par lequel cet évènement revient à la conscience et est reconnu comme passé. Quant au mot « réminiscence », il désignera très précisément ce retour -sous forme de représentation, ou à la rigueur sous forme d'acte- sans reconnaissance, sans la marque du passé.-
La disproportion entre le symptôme hystérique qui persiste des années et une motivation due à un accident unique est celle même que nous sommes habitués à rencontrer dans la névrose traumatique. Très souvent, ce sont des évènements survenus dans l'enfance qui ont provoqué, au cours de toutes les années suivantes, un phénomène pathologique plus ou moins grave. Il conviens de s'interroger sur la raison pour laquelle l'incident est donc ensuite clairement déterminé par l'occasion de sa survenue. L'effacement d'un souvenir ou la perte d'affect qu'il subit dépend de plusieurs facteurs. Il importe tout d'abord de savoir si l'évènement déclenchant a ou non provoqué une réaction énergique : série de réflexes volontaires ou involontaires grâce auxquels il y a décharge d'affects, depuis les pleurs jusqu'à l'acte de vengeance. Ensuite, si cette réaction se produit avec une ampleur suffisante pour qu'une grande partie de l'affect disparaisse par là-même (l'expression « pleurer toutes les larmes de son corps » en témoigne). Ou au contraire, si la réaction est réprimée, de quelle manière l'affect resterai alors lié au souvenir. En effet, on ne se souviens pas de la même manière d'une offense vengée -ne fût-ce que par des paroles- que d'une offense qu'on s'est vu forcé d'accepter.
La réaction au trauma de celui qui a subi un préjudice n'a véritablement un effet « cathartique » que si elle est adéquate, comme peut l'être l'acte de vengeance. Mais l'être humain trouve dans le langage un équivalent de l'acte, équivalent grâce auquel l'affect peut être « abréagi » à peu près de la même façon. Si une telle réaction ne s'effectue pas par le biais soit d'une action, soit de mots ou dans les cas les plus légers par des pleurs, le souvenir de l'incident conserve d'emblée toute sa valeur affective. L'abréaction n'est cependant pas le seul mode de liquidation à disposition du mécanisme psychique de l'individu bien portant. En effet, le souvenir, même non « abréagi » trouve toujours à s'inscrire dans un complexe associatif plus large.
Il trouve dès lors une place à côté d'autres expériences vécues qui sont peut être en contradiction avec lui et se voit alors « corrigé » par d'autres représentations. A cela s'ajoute ensuite l'atténuation général des impressions, cet effacement des souvenirs que nous nommons « oublier » use les représentations qui ne sont plus actives.
Comment expliquer dans ce cas la persistance de certains d'entre eux à réapparaitre dans leur surprenante intégralité déployant lors de leur retour avec toute leur force sensorielle, toute la puissance affective propres aux évènements nouveaux ? En étudiant de plus près les motifs qui ont entravé l'abréaction nous découvrons deux séries, au moins, de conditions capables d'entraver la réaction au traumatisme :
Dans le premier groupe nous rangeons les cas où les malades n'ont pas réagi au traumatisme parce que la nature même de ce dernier empêchait toute réaction (perte d'un être aimé par exemple) ou parce que la situation sociale rendait cette réaction impossible ou encore parce qu'il s'agissait de choses que le malade voulait oublier et qu'intentionnellement il maintenait, repoussait, refoulait, hors de la pensée consciente. L'hypnose nous permet de constater que ce sont justement ces choses pénibles qui donnent les fondements des phénomènes hystériques (délires hystériques des saints et des religieuses, des femmes continentes, des enfants sévèrement éduqués).
Dans la seconde série, la maladie n'est pas déterminée par le contenu des souvenirs mais bien par l'état psychique du sujet au moment où s'est produit l'évènement en question. Ici, certaines représentations se seraient maintenues car elles auraient coïncidé avec de fortes émotions paralysantes (frayeurs, rêveries, auto-hypnose, état d'engourdissement semi-hypnotique.)
Ces deux conditions peuvent coïncider comme lorsqu'un traumatisme déjà actif en soi advient à un moment où le sujet se trouve dans une période de perturbation émotionnelle. Dans les deux cas, il semble bien aussi que chez nombre de gens, le traumatisme psychique provoque l'un de ces états anormaux qui rendent eux-même toute réaction impossible. Un point reste commun à ces deux conditions : les traumatismes psychiques non abréagis ne le seront pas non plus par la voie élaborative. Lorsque c'est la nature du traumatisme qui entrave son élaboration, le malade exclura plus ou moins intentionnellement l'évènement de ses associations. Dans le second cas, cette élaboration échoue parce qu'il n'existe, entre l'état conscient normal et l'état pathologique où ces représentations sont nées, aucun lien associatif utile.
On peut donc affirmer que l'aspect pathogène de ces représentations relève du fait d'un interdit entravant à la fois la capacité élaborative du malade ainsi que l'oubli de ces souvenirs qui se voient maintenu à la porte de la conscience chargés de toute leur portée affective d’antan.
Après l'étude approfondie des représentations pathogènes accessible uniquement par la pratique de l'hypnose, nous partageons avec A. Binet et les deux Janet la conception selon laquelle la dissociation du conscient, appelée « double conscience » dans les observations classiques, existe rudimentairement dans toutes les hystéries. La tendance à cette dissociation et par là à l'apparition des états de conscience anormaux que nous rassemblons sous le nom d'états « hypnoïdes », serait, dans cette névrose, un phénomène fondamental. Nous voudrions substituer à la formule fréquemment employée, et d'après laquelle l'hypnose serait une hystérie artificielle, la proposition suivante : le fondement, la condition nécessaire d'une hystérie est l'existence d'états hypnoïdes.
Quelques soit leurs différences, ces états concordent entre eux et avec l'hypnose sur un point : les représentations qui y surgissent tout en étant fort intense n'ont aucune corrélation avec le reste du contenu du conscient. Mais ces états hypnoïdes peuvent s'associer entre eux et leur contenu en représentations peut, par cette voie, parvenir à des degrés différents d'organisation psychique.